Un bas-relief à traduction instantanée ! |
Aujourd’hui, je suis à Hôi An (province centrale de Quang Nam). Ville insupportable par sa fréquentation touristique, mais tellement attirante par son charme suranné. Ce dimanche soir, nuit de pleine lune, la vieille ville n’est éclairée que par les lanternes qui festonnent de mille couleurs les devantures des maisons.
La presse des soirs de fête envahit les rues, et j’ai l’impression de me déplacer dans un banc de poissons. Je déambule au gré de la foule et mon libre-arbitre de promeneur s’efface devant l’impératif d’un mouvement collectif qui m’oblige à suivre un rythme et une direction qu’en d’autres temps je n’aurais sans doute pas choisi. Fatigué de jouer au lemming poussé vers la chute inéluctable, je décide de m’extraire du flot humain, en me cramponnant aux barreaux d’une fenêtre miséricordieuse qui s’offre à moi. Tandis que je reprends mon souffle, j’aperçois une inscription en bas-relief sous la fenêtre : "Savonnerie - Xuong lam xa phong". L’évidence même !
De quoi se vêtir
Au risque de me faire passer un «xà phòng» (savon) par de puristes linguistes, j’ose dire que l’on peut survivre au Vietnam en possédant quelques dizaines de mots d’un lexique franco-vietnamien bien particulier.
Ainsi, Hôi An étant réputé pour ses couturiers et tailleurs sur mesure, il est facile de se faire confectionner une «áo sơ-mi» sur mesure même si l’on reste en bras de chemise. On peut aussi se faire couper l’«áo vét» de ses rêves, sans risque de se prendre une veste. Voire en hiver s’emmitoufler dans un «măng-tô» (manteau). Et pour transporter tout cela, un «ba-lô» peut être utile, bien qu’une «va-li» (valise) soit plus appropriée.
Mais attention à ne pas se tromper ! Ainsi, le «ba-lô» ne doit pas être confondu avec le ballot, ce baluchon que portaient les cheminots d’autrefois lorsqu’ils usaient leurs semelles sur les sentiers caillouteux. Ici, le «ba-lô» désigne le sac à dos, fièrement sanglé sur le dos du quidam, et surtout sur l’échine du routard qui s’échine à le transporter d’un bout à l’autre du pays, ce qui vaut au porteur étranger dudit «ba-lô» l’amusant surnom de «Tây ba-lô», sans pour autant qu’il n’ait l’air ballot.
Mais, puisque nous sommes dans le transport, intéressons-nous à la moto ou plutôt à sa mécanique et ses accessoires. Une «bu-gi» peut si facilement se nettoyer, même à la lueur d’une bougie (laquelle se dit «nến»). Et si besoin, en cas de résistance de la dite «bu-gi», on peut utiliser une «cờ-lê», à condition d’en avoir la clef. Ensuite, il suffit de reprendre la route, en tenant fermement le «ghi-đông», sans avoir la tête dans le guidon. Et si, par hasard, vous prenez le «vô-lăng» (volant), faites attention à ne pas rouler plein «pha» (phare) et à ne pas torturer votre «mô-tơ» (moteur), car changer un «pít-tông» (piston) peut coûter cher, sauf si on est pistonné !
De quoi se nourrir
Retour à Hôi An. La foule se fait moins dense, je louvoie pour atteindre la terrasse d’un estaminet qui me tend ses sièges. Pour me ressourcer, j’hésite : un «cà phê» (café) noir ou au lait ?, une «bia» (bière) bien mousseuse ?, une «vôt-ca» (vodka) bien frappée ? Finalement, j’opte pour un repas que je compte clore par un bon verre de «cô-nhắc» (cognac).
Le menu ne m’offre que l’embarras du choix : un «bít-tết» (bifteck) accompagné d’une «mù-tạt» (moutarde) que j’espère être de Dijon. Je dois avouer que les condiments sucrés que l’on affuble du nom de moutarde me l’a font un peu monter à la tête !
Mais avant d’attaquer les choses sérieuses, une «xà-lách» (salade) me paraît salutaire pour m’ouvrir l’appétit. On me l’apporte avec quelques des «giăm-bông» (jambon) et des «ô-liu» (olive) noires qui me donnent quelques instants le goût de la Provence. Et, compensation méritée à l’afflux touristique, je me fais le plaisir d’une belle portion de «phô-mai» (fromage), avec du «bánh mì» (pain) et du «bơ» (beurre). Oui, je sais, pain-beurre ce n’est pas très vietnamien, mais on ne va pas en faire tout un fromage !
Et puisque je suis dans l’excès calorique, je n’hésite pas à terminer ce repas par un flan au «ca-ra-men» (caramel), tout en lorgnant sur le «ga-tô» (gateau) au «sô-cô-la» (chocolat) de mon voisin de table. D’ailleurs, «sơ-ri» (cerise) sur le gateau, je m’offre encore une «kem vani» (crème à la vanille). Il ne me manque plus qu’un verre de «sâm-panh» (champagne) pour que le festin soit complet. Mais je n’aime de bulles que celles qui viennent de la montagne de Reims, difficiles à trouver dans l’ancienne Fai Fo.
Un vrai décor de «phim» (film) ! |
Ventre plein, je rejoins mon hôtel. L’air s’est rafraîchi et je regrette de n’avoir pris mon «gi-lê» (gilet). Ce serait trop idiot d’attraper un rhume ou pire encore. D’autant que je n’ai pas encore été faire mon «vắc-xin» (vaccin) contre la grippe.
L’inquiétude est bien vite oubliée, maintenant que je suis confortablement installé devant la «ti-vi» (TV). Ça ne vaut pas le «xi-nê» (ciné), mais ce soir je me fais un «phim» (film) ou plutôt une mauvaise «xê-ri» (série) où l’acteur principal finit sa vie dans le «xi măng» (ciment) frais. De quoi déprimer !
Pour me changer les idées, je sors sur mon «ban-công» (balcon) pour prendre de la hauteur sur la condition humaine. Les lanternes brillent toujours, la lune s’est cachée je ne sais où, sans doute fatiguée de jouer la tête d’«áp-phích» (affiche). D’une fenêtre s’échappent les plaintes d’une «ghi-ta» (guitare) et d’une «măng-đô-lin» (mandoline), à filer le bourdon à un gagnant du loto. Allez, une cuillère de «xi-rô» (siro) contre la toux, et au lit !
Vous avez le droit de dire que cette chronique ne vaut pas un «xu» (sou) mais si vous retenez les mots vietnamiens qui y figurent, vous pouvez survivre au Vietnam, et ça me vaudrait au moins une «mề-đay» (médaille) !
Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN