Nostalgie du Pays des fées (suite)

Amour - souvent prédestiné - entre un mortel et une immortelle, rupture et regret de l’homme à la recherche du paradis perdu. Futilité de la vie de l’homme dont la nature n’est pas faite pour le bonheur parfait.

>>Nostalgie du Pays des fées

Ce thème qu’illustre le conte vietnamien de Tu Thuc se retrouve avec des variantes dans le folklore de plusieurs peuples. Il a tenté la plume de plus d’un écrivain occidental tels que Grimm (Les contes de Grimm), Washington Irving (Rip Van Winkle), James Hilton (Horizon perdu). N’oublions pas l’Atlantide de Platon.

L’amour féerique et le paradis perdu

Le conte vietnamien sur la Grotte de Tu Thuc présente une similitude frappante avec celui du Thiên Thai chinois. Thiên Thai, homonologue de Shangri La, est le Pays des fées chanté par la poésie chinoise (des Tang) et même vietnamienne (Tan Dà). Van Cao, auteur de l’Hymne national vietnamien, a composé une chanson célèbre sur Thiên Thai.

Les amours entre l’homme et les immortelles relatées avec un certain similitude dans les légendes de nombreux pays d’Asie.

Le terme chinois Thiên Thai désigne la Grotte des fées dans laquelle deux lettrés, de l’époque des Han, s’étaient égarés et avaient connu un amour féerique. Au bout de six mois, tenaillés par la nostalgie du monde de l’éphémère, ils demandèrent à rejoindre leur village pour une visite. Des centaines d’années avaient passé depuis leur départ et personne ne les reconnut. Déchus, ils se remirent en route, pour tenter de rejoindre Thiên Thai. On avait perdu leur trace. Il existe dans la littérature lao une version du thème paradis perdu. Contrairement à la plupart des contes lao qui ont une source indienne, ce conte populaire semble avoir une parenté sino-vietnamienne.

Ci-dessous est le conte lao : «Dans un petit village, situé au nord-est de Thakkek, vivait un chasseur solitaire, qui aimait battre champs et forêts pour aller à la recherche d’un incessant renouveau. Un jour qu’il était sur une montagne, aux aguets, attentif comme d’habitude au moindre bruit et mouvement de l’environnement, il vit tout à coup devant lui un taureau d’une espèce différente de toutes celles qu’il lui avait été données de voir jusqu’alors. Instinctivement, il se mit à la poursuite du bel animal, mais ne pu l’atteindre.
Épuisé par une longue course, il s’arrêta au bord d’un ruisseau pour se désaltérer, et se promit de reprendre la chasse dès qu’il serait remis de ses fatigues. Comme il s’étendait sur l’herbe fraîche, il crût entendre une douce voix de jeune fille lui dire bonjour. Étonné, il se leva et, à sa grande stupéfaction, ne vit plus la forêt mais une jeune fille venir à lui du fond d’un joli petit village. Avant qu’il ait eu le temps de lui adresser la parole, elle lui dit d’une voix mélodieuse qu’elle et lui, par la volonté du Ciel, étaient prédestinés l’un à l’autre et que le taureau ne l’avait amené en ces lieux que pour les réunir tous les deux.

Séparation, souvenirs et regret

Le chasseur, plus heureux qu’étonné, accepta la proposition sans réticence, mais la jeune fille exigea qu’il lui promette de ne plus tuer d’animaux, de suivre un régime végétarien et de subir une purification avant l’hyménée. Le chasseur donna sa parole, pensant qu’après tout, de telles promesses n’étaient pas trop difficiles à tenir, en comparaison de la belle personne que le destin lui donnait sans qu’il s’y soit le moins du monde attendu.

Le monde féerique est décrit souvent dans les vieux contes avec des paysages merveilleux.

Alors, comme mûs par une baguette magique, les habitants du village sortirent de leurs maisons et organisèrent une cérémonie, durant laquelle ils firent prendre au chasseur un bain destiné à le débarrasser de ses attaches avec les choses matérielles de la Terre. Après quoi, ils célébrèrent, suivant les traditions lao le mariage des jeunes gens, au milieu des chansons qu’accompagnait la musique douce du +khèn+, parmi les joyeuses ovations des villageois mangeant et dansant atour des tables du banquet.
Avec la vie nouvelle qui commençait pour lui au milieu des délices et enchantements du Paradis, le chasseur abandonna sa passion pour la chasse et s’adapta au régime de légumes et de fruits. Il vécut heureux. Mais la nature humaine est chose qui ne peut changer du jour au lendemain, et malgré la purification, les souvenir de la vie libre de chasseur avec ses plaisirs, et ses angoisses, les souvenirs des repas pris auprès du feu où rôtissait le gibier fraîchement abattu, les courses folles dans les montagnes hautes et les forêts sauvages à la poursuite des fauves, lui revinrent à la mémoire, d’abord vaguement, puis le tourmentèrent à mesure qu’ils se précisaient ; alors l’envie de goûter à nouveau la viande fraîche lui piquait les sens.
Un jour, après la moisson, il attrapa des poissons dans la rizière et, se croyant à l’abri de tout regard inquisiteur, il les mangea. Mais sa femme accourut aussitôt et pleura son malheur, parce que ce faisant il avait manqué à sa promesse et rompu, du fait, leur union.
Obligés de se séparer, elle le reconduisit au bord du ruisseau où ils s’étaient rencontrés, et dès que le chasseur l’eut traversé, la jeune femme et le joli petit village disparurent. Il se retrouva dans cette même forêt où il avait auparavant poursuivi le taureau. Désenchanté, il revint dans son village mais ne put le reconnaître : tout avait changé. S’étant informé auprès de quelques vieillards, il s’aperçut que vingt ans avaient passé depuis sa dernière sortie pour la chasse. Or, il avait seulement passé à peine deux mois au Paradis.
Regrettant les moments heureux, vite passés comme dans un songe, il repartit dans les forêts et, depuis, personne ne l’a jamais revu
».

Huu Ngoc/CVN

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