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Des glaciers dans l'archipel du Svalbard, le 3 mai 2022 dans le nord de la Norvège. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Lancée en 2015, Ice Memory s'est donné pour objectif de récolter des carottes de glace sur 20 sites à travers le monde pendant une vingtaine d'années afin de les préserver dans la station franco-italienne Concordia dans l'Antarctique pour les chercheurs du futur, avant que ces ressources ne disparaissent en raison du changement climatique.
Première surprise pour les huit scientifiques français, italiens et norvégiens partis fin mars dans l'archipel norvégien: les conditions climatiques plus rudes qu'attendues sur le champ de glace Holtedahlfonna, l'un des lieux les plus au nord de l’Arctique, où l'équipe avait établi son campement. Alors qu'un mercure autour des -25 degrés était attendu, c'est une température ressentie de -40 degrés à laquelle ils ont fait face en raison de vents violents, obligeant à retarder le forage de quelques jours.
Et une fois ce dernier commencé, alors que l'équipe atteignait une profondeur de 24,5 mètres, une large quantité d'eau, provenant de la fonte du glacier, a soudain fait irruption dans le trou.
Si des radars avaient depuis 2005 montré "la présence d'aquifère dans le glacier, nous ne nous attendions pas à trouver une telle quantité de liquide", alors que l'hiver n'est même pas terminé, a souligné Jean-Charles Gallet, glaciologue coordinateur de l'expédition, dans un communiqué.
Réchauffement dramatique
Les aquifères sont des réservoirs d'eau douce ou salines souterrains qui s'infiltrent et circulent entre les cristaux de glace des zones glaciaires, contribuant à leur déstabilisation.
"Trouver toute cette eau à l'intérieur du glacier nous fournit une preuve supplémentaire des effets dramatiques du réchauffement climatique en Arctique", alerte Daniele Zannoni de l'université de Venise. "Les glaciers perdent non seulement en taille mais aussi en fraîcheur", poursuit M. Gallet.
Le Svalbard se réchauffe entre deux et quatre fois plus vite que le reste de la planète, voire sept fois selon une étude parue dans Nature.
En plus de l'inquiétude qu'elle suscite, cette eau a aussi eu pour effet d'endommager deux moteurs de forage, obligeant l'expédition à se déplacer 150 mètres plus loin et 13 mètres plus haut, au sommet du glacier Dovrebreen, encore une fois en pleine tempête.
Les forages ont repris le 12 avril, permettant cette fois en quelques jours de rapporter finalement trois carottes de glace, de 50 à 75 mètres de long. Ces précieux cylindres translucides d'une dizaine de centimètres de diamètre peuvent contenir dans leurs strates et bulles d'air jusqu'à 300 ans d'histoire du climat!
"Malgré toutes les difficultés, nous sommes restés concentrés sur notre objectif, car nous étions pleinement conscients de l'importance fondamentale de ces échantillons pour la science d'aujourd'hui et de demain", a témoigné Catherine Larose du CNRS.
Course
La base scientifique de Ny-Ålesund, dans l'archipel de Svalbard, le 20 juillet 2015 dans le nord de la Norvège. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
C'est en effet une course contre la montre qui est engagée. La communauté des glaciologues "voit sa matière première disparaître pour toujours de la surface de la planète. Notre responsabilité en tant que glaciologues de cette génération, c'est de faire en sorte d'en préserver un petit peu", avait déclaré le 3 avril à l'AFP le président d'Ice Memory, Jérôme Chappellaz.
Mais même une fois les carottes récoltées, une dernière péripétie attendait les chercheurs. La température s'est brusquement réchauffée, atteignant les -3 degrés, accompagnée de précipitations qui ont formé de vastes courants liquides sur le chemin entre le campement et la base de Ny-Ålesund, rendant le retour périlleux.
Si deux des carottes sont finalement arrivées à la base, une dernière est encore bloquée avec une partie de l'équipe sur le site de forage, attendant des conditions plus clémentes.
En attendant, Ice Memory appelle à la mobilisation internationale: "nous avons besoin aujourd'hui que plus de chercheurs contribuent rapidement à la collecte d'échantillons sur les glaciers menacés", déclare Carlo Barbante, paléoclimatologue et vice-président de Ice Memory.
"Si nous perdons de telles archives, nous perdrons la mémoire de l'altération du climat par l'homme" et des informations cruciales pour les futures recherches, alerte Anne-Catherine Ohlmann, directrice de la fondation.
AFP/VNA/CVN