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La famille Husseini autour de la tombe de Madina dans le cimetière de Sid, le 7 décembre 2017, en Serbie. |
La famille Husseini autour de la tombe de Madina dans le cimetière de Sid, le 7 décembre 2017, en Serbie. Photo : AFP/VNA/CVN |
Avec cinq membres de sa famille, elle revenait à pied vers la Serbie, suivant de nuit une voie ferrée, après avoir été refoulée de Croatie, selon le récit à l'AFP de sa mère Muslima Husseini, 38 ans : "On a entendu un bruit énorme, un train qui arrivait vite" dans le dos.
À Sid, ville frontalière de la morne plaine de Vojvodine (Nord de la Serbie), Madina, 6 ans, repose au fond d'un cimetière orthodoxe, près de trois autres petits tas de terre : Hamidi Hadere (1930-2015), Abu Shafar Mustafa (1970-2016) et un Mohamadi au prénom déjà illisible (1946-2016).
Malgré la fermeture des frontières début 2016, la route des Balkans reste empruntée clandestinement par de nombreux migrants. "La mort évitable" de Madina "vient rappeler à l'Union européenne et aux autorités régionales que les gens restent en danger dans les Balkans", dit Andrea Contenta, de Médecins Sans Frontières-Serbie qui s'indigne que des migrants soient refoulés hors de toute procédure.
Sur les onze premiers mois de 2017, l'ONG a comptabilisé 143 morts entre la Turquie et l'UE : noyades, accidents de voiture, chutes ou électrocutions depuis les toits des trains, suicides... Au-delà des données publiques, "nous ne savons pas combien ont perdu la vie dans la région", poursuit Andrea Contenta.
Moue malicieuse, baskets roses
Rahmat Shah Husseini, 39 ans, sanglote sur la terre glacée qui couvre sa fille. Puis montre la photo d'une enfant aux cheveux courts et à la moue malicieuse. Elle est assise, ses baskets roses à scratch touchent à peine le sol. C'était deux jours avant l'accident. Il balaye l'écran du téléphone : apparaissent des images du petit visage martyrisé.
Elle demandait souvent "+On est arrivé ? C'est ici Londres ?+", raconte cet homme qui dit être parti il y a deux ans avec quatorze membres de sa famille, car menacé pour avoir travaillé pour les forces américaines.
Passés par l'Iran, la Turquie, la Bulgarie, les Husseini ne sont pas ensemble ce 20 novembre. Muslima est partie avec cinq enfants, dont l'anglophone Rashid, 15 ans. Il n'y a plus assez d'argent pour que tout le monde tente immédiatement sa chance, explique Rahmat Shah.
À 16h00, le groupe mange des biscuits, prend des forces dans une maison abandonnée proche de la frontière où un taxi les conduit, raconte Muslima. Ils franchissent des barbelés dans un champ. Ils sont en Croatie, marchent, font une pause.
La police arrive, Muslima fait valoir son droit à demander l'asile, supplie qu'on attende au moins le matin pour les renvoyer, quand il fera jour, quand les enfants seront reposés. Mais, selon elle, ils sont escortés jusqu'à la frontière et une voie ferrée éclairée par les lampes-torches. L'Intérieur croate conteste cette version de l'escorte policière et affirme que Muslima est revenue "volontairement" en Serbie après l'accident.
La famille marche. "Personne ne nous a dit qu'un train devait passer", dit Muslima qui raconte la panique : "Où est Madina ?". Rashid découvre sa petite sœur, le sang, le crâne enfoncé.
Funérailles en catimini
La famille Husseini autour de la tombe de Madina dans le cimetière de Sid, le 7 décembre 2017, en Serbie. |
La famille Husseini autour de la tombe de Madina dans le cimetière de Sid, le 7 décembre 2017, en Serbie. Photo : AFP/VNA/CVN |
Inerte, l'enfant est portée vers les policiers croates, une ambulance arrive. Muslima dit qu'on la force à en sortir, qu'on l'empêche de regarder par la fenêtre du véhicule qui démarre bientôt. Le reste de la famille est ramené sur la voie ferrée, on leur montre la Serbie.
Réunie à Belgrade, la famille apprend le décès deux jours plus tard. Le lendemain à l'aube, les Husseini sont conduits avec un imam à Sid où attend la dépouille. Il faut l'enterrer immédiatement, leur dit-on.
Les Husseini refusent cette inhumation en catimini, dans la seule intimité familiale. "Enterrez-nous avec elle !", se souvient avoir dit Rahmat Shah. Ils obtiennent quatre bouteilles d'eau pour laver le corps. Puis cèdent.
Rahmat Shah veut quitter Sid et la Serbie, où Madina restera : personne n'a donné aux Husseini le certificat de décès qui leur permettra, plus tard, de récupérer la dépouille.
Zagreb insiste sur le fait "que l'accident et la mort de l'enfant ne sont pas imputables aux actions de la police des frontières croate" et que le drame est survenu en Serbie. Le Commissariat des réfugiés de Serbie a relevé qu'il avait réglé "toutes les dépenses des funérailles" et "apporté un soin particulier à répondre à tous les souhaits de la famille dans son deuil".