Mettre les pendules à l’heure

Il ne se passe de jours où de grands oiseaux d’acier ne déversent leur cargaison de touristes sur le tarmac d’un aéroport vietnamien. Ils viennent de tous les continents avec leurs rêves et leurs images d’Épinal en tête pour voir de près ce pays du Sud lointain qui leur ouvre grand les bras...

Hoàn Kiêm, un lac où le spectacle est permanent.
Photo: Hoàng Phuong/CVN

Depuis plus d’une décennie, le Vietnam se met en quatre pour accueillir tous les curieux du monde entier qui veulent découvrir ce qui se cache sous les nón lá (chapeau conique de feuilles de latanier, un membre de la famille des palmiers). Festivals, promotions, expositions, salons et foires commerciales, tout l’arsenal du marketing y passe pour attirer l’attention du voyageur potentiel qui se demande bien où il va pouvoir poser ses valises aux prochaines vacances. Et, ça marche…

D’année en année, la courbe de fréquentation touristique du Vietnam ressemble de plus en plus à un pic himalayen! Devant ce flot de visiteurs, l’immigré que je suis est parfois amusé, parfois irrité…

Portraits sur le vif

Quand je suis assis au bord du lac Hoàn Kiêm (Épée restituée) sur un de ces bancs de pierre sponsorisés par une compagnie d’assurances ou une banque, je ne peux m’empêcher de sourire dans ma barbe, en voyant l’accoutrement de certains touristes. J’avais déjà eu l’occasion, il y a plusieurs années, de vous décrire quelques portraits choisis, et je ne peux me priver du plaisir de vous les présenter de nouveau, car rien n’a changé de ce côté-là, sous le soleil vietnamien.

Voici l’explorateur: celui-ci croît encore que le Vietnam est un pays de jungle où rôdent tigres cruels et éléphants furieux. Il est équipé comme pour un safari: chapeau de brousse pour se protéger des pluies de moussons, veste et pantalons kaki multi poches pour pouvoir transporter les rations de survie, chaussures montantes pour se protéger des serpents venimeux!

Plus loin, arrive le prudent. Pour lui, le Vietnam est un pays lointain, donc tout peut arriver. À plus de 100 m de chez soi, on n’est sûr de rien, donc prudence! Il a la "banane" (le sac, pas le fruit) solidement arrimée à l’estomac. À l’intérieur, l’argent, les papiers, les médicaments d’urgence contre la turista, l’adresse de l’hôtel, et mille autres choses sans lesquelles la vie serait périlleuse.

Puis, suit le hippie. Pour lui, tous les pays au-dessous du 22e parallèle sont des paradis sur terre. C'est l’amour sous les palmiers et la fraternité autour du feu de camp. Il s’habille de pantalons ou shorts savamment déchirés, de sandales de cuir ou de peaux pseudo artisanal, s’enroule dans des tissus ethno-locaux, et se coiffe de chapeaux et foulards burinés par de multiples séjours sous le soleil des tropiques.

Plus loin, le cameraman. Lui, il est là pour emmagasiner les photos et les films. Il transporte sacs et appareils en bandoulière et en ceinture. Il fait un curieux bruit de quincaillerie quand il se déplace. Son visage est bronzé, mais autour de l’œil droit, il y a une marque blanche, à force de regarder le pays à travers un écran de téléobjectif.

Et, enfin, le décontracté. Celui-ci considère que de toute façon, on est en vacances pour se lâcher, donc tout est permis, y compris d’être sale, grossier, et mal habillé ou de façon indécente. Décolletés profonds, shorts ultra courts et moulants dans un pays où la pudeur est fortement ancrée dans les coutumes. Mais, qu’importe puisqu’il est loin de chez lui et en vacances.

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La différence entre le touriste et le visiteur:
le touriste vient faire un petit tour
et puis s’en va, le visiteur vient rendre visite à un ami.

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Je pourrai rajouter le tropical qui, même par temps froid, est en maillot de corps, puisqu’au Vietnam, comme chacun sait, le thermomètre ne descend jamais en dessous de 30°C…

Ou encore l’ethnologue, féru d’authenticité même factice, et bien d’autres encore qui, finalement, me sont bien sympathiques dans leur fragilité et leur méconnaissance de ce pays qui, à leur corps défendant, change à une vitesse de photon emballé!

Changement de décor

Il m’arrive souvent d’entendre ce type de demande: "J’aimerais bien retourner voir le petit marché situé à cet endroit. Il est tellement typique". Et, bien non, monsieur! Il n’y a plus de petit marché, typique, insalubre, et humide. À la place, il y a un beau super marché, propre sur lui, comme celui qui se trouve au bout de votre quartier…

Et, cette petite route si charmante? Ah, non, plus de route charmante, cabossée et pleine d’ornières. Mais une belle route macadamisée, bordée de barrières métalliques pour éviter que les buffles ne la traversent, tout à fait comme chez vous…

Et, cette petite gargote aux odeurs si particulières? Fini l’immonde bouge avec la cuisine aux murs noirs de suie. Mais vous pouvez profiter du confort aseptisé d’un restaurant dernier cri, au sol et serveurs immaculés, comme vous en trouverez près de chez vous…

Et, ce petit hôtel familial? N’y pensez pas, démoli cet hôtel de famille où les rats montant l’escalier croisaient les touristes descendant leurs valises. Maintenant, c’est un bel hôtel, avec un hall de réception digne d’un aéroport, fils putatif de ceux que vous fréquentez ailleurs…

Mais alors, le Vietnam, il est où? Il est dans le sourire éternel de ses habitants, dans les endroits où la vie conserve le rythme immuable des saisons, dans les monuments millénaires qui regardent cette agitation avec une sérénité sans faille, dans une histoire que l’on peut découvrir à condition d’être humble et curieux…

La différence entre le touriste et le visiteur: le touriste vient faire un petit tour et puis s’en va, le visiteur vient rendre visite à un ami!


Gérard BONNAFONT/CVN

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