Mœurs et coutumes : la nuit porte... chance

Voler, chez l'ethnie Man de la commune de Mô Si San, province de Lai Châu (Nord), c'est autorisé..., mais une nuit par an seulement. Et pas n'importe laquelle : celle de la première pleine lune d'après Têt.

Il est 22 heures. La lune brille de tous ses éclats. C'est la première plein lune d'après Têt. Une grande animation règne dans le village de Seo Hô Thâu, commune de Mô Si San, district de Phong Thô, province de Lai Châu, dans la haute région du Nord. Les sons de bombardes, de gongs... se mêlent aux cris d'excitation. Une centaine d'hommes, adultes, jeunes et moins jeunes, sont regroupés, prêts à débuter leur nuit de larcins. "C'est pour avoir de la chance toute l'année", explique Tân Phu Leng, le chaman du village.

Gagnant à tous les coups

Cette fête se pratique depuis belle lurette chez les Man vivant dans ce coin montagneux des confins septentrionaux du pays. L'autorisation de voler ne concerne que certaines denrées comme ail, alcool et viande de porc gardée dans la maison. Si le voleur est pris en flagrant délit par le propriétaire, ce dernier lui inflige une peine qui est une... bonne rasade d'alcool. Dans le cas où le voleur réussit son larcin, c'est-à-dire qu'il réussit à dérober quelque chose sans que le propriétaire ne lui mette le grappin dessus, il revient voir la victime avec le butin pour demander une récompense qui n'est rien d'autre qu'un... grand verre d'alcool. Donc, que le vol réussisse ou échoue, le "voleur" a le droit à sa rasade de vin de riz. La seule différence, c'est en termes de chance pour l'année qui débute. Le voleur qui se fait coincer en perd, la famille qui l'accueille en gagne. Et vice-versa pour le cas de vol réussi. Peu importe.

"C'est vraiment amusant. La particularité de ce jeu nocturne est que l'on fait un vol collectif, et que tout le monde peut être à la fois voleur et victime", confie Dao Manh Tuong, professeur du collège de Mô Si San. Bien qu'il ne soit pas un Man, cet homme venu de la plaine ne manquera pour rien au monde ces réjouissances printanières.

Dans le clair de lune, la bande de voleurs d'un soir fait le tour des maisons. Première destination : la maison du facteur Ly Van Khin. Sa femme est déjà postée devant le portail du potager. À l'arrivée du groupe, elle brandit un bâton pour barrer le passage. Dans la maison, le mari s'occupe de ses munitions d'alcool et des morceaux de viande fumée suspendus au plafond de la cuisine. Ses 2 filles font le guet aux fenêtres.

Aucun potager n'est épargné

Soudain, la femme pousse un cri. Le mari déboule dans le jardin avec une bouteille d'alcool en main, et alpague 3 gars en train d'arracher de l'ail. La sanction est immédiate : les " malchanceux " ont à siffler chacun un grand verre d'alcool au milieu des acclamations de la troupe. Les propriétaires sont enchantés, car leur chance sera triplée cette année. Mais, leur joie ne dure qu'un instant : un homme se présente soudain devant eux en agitant un morceau de viande. Ly Van Khin débouche une nouvelle bouteille d'alcool, cette fois-ci pour récompenser le voleur talentueux qui reçoit aussi les félicitations et applaudissements de ses acolytes.

La musique reprend de plus belle. Le joyeux bataillon s'ébranle et se dirige vers une autre habitation. Toutes les familles de Mô Si San sont disposées à accueillir ce groupe car cette visite nocturne est gage de chance pour toute l'année.

Averti de la visite prochaine des voleurs chez lui, Tân Phu Neng, chargé des affaires culturelles de la commune, s'éclipse discrètement de la joyeuse bande pour rentrer chez lui et aider sa femme à garder la maisonnée. Le regard vif et la main leste, il réussira à prendre en flagrant délit 2 voleurs de viande dans la cuisine mais se fera siffler une bouteille de tord-boyaux.

Malgré un froid de canard, les réjouissances durent jusqu'à l'aube. Puis chacun rentre dans ses pénates, rond comme une queue de pelle.

"Cette année, aucun potager d'ail de la région n'a été épargné, y compris celui des garde-frontières", s'amuse le lendemain Phung Chin Phang, maire de Mô Si San. En avouant ne pas connaître l'origine de cette coutume, il assure que cette festivité printanière se tient depuis belle lurette au sein de son ethnie, faisant partie des réjouissances les plus captivantes du coin.

Nghia Dàn/CVN

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