Loto: depuis bientôt un siècle, "Nimet Abla" vend du rêve aux Turcs

Comme chaque année à l'approche du tirage du 31 décembre, des milliers de personnes se pressent devant le stand de loterie le plus célèbre d'Istanbul, envoûtées par la promesse affichée en lettres lumineuses sur la devanture: "Nimet Abla vous fera gagner".

Les Turcs plein d'espoir à l'achat d'un ticket de loterie au stand "Nimet Abla" réputé le plus chanceux de Turquie. À Istanbul le 17 décembre.
Photo: AFP/VNA/CVN

Ouverte il y a 90 ans, cette échoppe qui écoule les billets de la loterie nationale Milli Piyango est devenue incontournable: c'est ici que l'on a le plus de chance d'acheter un ticket gagnant dans tout le pays, dit la légende. De nombreux Turcs viennent y faire le plein d'espoir en ces temps économiques troublés, faisant fi de la réprobation croissante des plus pieux qui considèrent les jeux d'argent comme un péché. Devant les guichets installés dans le quartier d'Eminönü à deux pas d'une des plus belles mosquées ottomanes d'Istanbul, la Yeni Cami, des clients se prennent en selfie avec leurs tickets pendant qu'un colosse chargé de réguler la foule aboie des ordres en avalant une brioche farcie.

Une dizaine d'agents de sécurité privée ont été embauchés pour former un cordon autour de l'échoppe à la façade jaune criard et intercepter les resquilleurs redirigés vers la queue qui s'allonge sur plusieurs centaines de mètres. Avec un temps d'attente qui peut durer trois ou quatre heures le week-end, il faut s'armer de patience. Kemal n'en manque pas: "Je tente ma chance chez Nimet Abla depuis 50 ans", glisse ce retraité. "Je n'ai jamais rien gagné... Pour l'instant!"

Nimet Abla, littéralement "grande sœur Nimet" en turc, doit son nom et sa fortune à sa fondatrice, Melek Nimet Ozden, une femme d'affaires redoutable qui a régné pendant un demi-siècle sur le monde de la loterie après avoir vendu son premier ticket en 1928. À sa mort en 1978, son neveu, qui se fait aujourd'hui appeler Nimet Abi ("grand frère Nimet"), a repris l'affaire qui ne cesse de prospérer. "On vend de plus en plus de billets chaque année", dit cet homme âgé de 64 ans aux yeux rieurs. Selon lui, la boutique a vendu quelque trois millions de tickets l'an dernier, "soit un dixième des billets de loterie en Turquie".

Légende soigneusement cultivée

En plus de son échoppe historique à Eminönü, Nimet Abla compte deux autres points de vente à Istanbul et les clients affluents des quatre coins de la Turquie.

Nimet Ozden, le directeur du stand de loterie "Nimet Abla" qui attire des foules en raison de sa réputation d'être le plus chanceux de Turquie. À Istanbul le 17 décembre.
Nimet Ozden, le directeur du stand de loterie "Nimet Abla" qui attire des foules en raison de sa réputation d'être le plus chanceux de Turquie. À Istanbul le 17 décembre. Photo: AFP/VNA/CVN

Cette année, le jackpot du Nouvel An s'élève à 70 millions de livres turques (environ 11,5 millions d'euros). Pour un ticket, il faut compter 70 livres, un prix relativement élevé quand un pain coûte en comparaison environ 2 livres. Mais on peut aussi acheter un "demi-ticket" ou même un "quart de ticket". Dans les jours qui précèdent le tirage de fin d'année, les queues se forment à partir de 06h00 et la vente se poursuit jusque tard le soir, vers 23h00. Des dizaines de vendeurs de tickets ambulants rôdent aux abords de Nimet Abla, à l'affût du client qui sera lassé de faire la queue. Leurs arguments: "Zéro temps d'attente! On vend les mêmes billets!"

Mais l'échoppe n'a pas grand-chose à craindre des quelque 15.000 autres vendeurs habilités à écouler les tickets de la loterie nationale. Sa réputation de stand le plus chanceux du pays est bien établie. L'image a été très tôt cultivée par sa fondatrice. Chaque fois qu'elle vendait un ticket gagnant, Melek Nimet Ozden se rendait au domicile de l'élu pour lui remettre son prix en personne, accompagnée de journalistes. Publicité garantie. Et alors que la boutique n'a pas vendu de ticket gagnant pour le tirage de fin d'année depuis 2009, tous ceux qui font la queue pensent, comme Erdemir Koç, 45 ans, sans emploi, qu'ils ont "plus de chances de gagner ici".

AFP/VNA/CVN

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