Lui-même d'origine kurde, Yasar Kemal a obtenu de nombreuses distinctions internationales pour ses romans au souffle épique narrant les conditions de vie précaires des villageois d'Anatolie centrale et leur lutte contre l'oppression féodale et étatique. Ses écrits et son militantisme politique contre la brutalité du pouvoir à l'encontre de la minorité kurde de Turquie lui valent de nombreux procès et un séjour en prison.
Yasar Kemal est même contraint d'entrer dans la clandestinité et de s'exiler plusieurs années en Suède pour fuir des menaces de mort et les pressions des autorités d'Ankara. Écrivain précoce, puisqu'il écrit ses premiers poèmes à l'école primaire, il fait irruption sur la scène littéraire turque en 1955 dès son premier roman Mehmed le mince, traduit en plus de 40 langues, acclamé par la critique internationale.
L'auteur turc Yasar Kemal le 9 février 2011 à Istanbul. |
Né en 1923 dans un hameau des plaines de Cilice, dans le Sud-Est de la Turquie, Yasar Kemal, de son vrai nom Kemal Sadik Gökçeli, a eu une enfance dramatique. Après avoir perdu la vue à un oeil à la suite d'un accident, il est le témoin à l'âge de cinq ans du meurtre de son père Sadi, tué en pleine prière à la mosquée par son fils adoptif.
Le jeune homme quitte l'école prématurément. Contraint à exercer de petits métiers pour vivre, il est ramasseur de coton, conducteur d'engins agricoles ou encore bibliothécaire. En 1950, il est une première fois arrêté pour propagande communiste. Jugé, il est finalement acquitté.
Le jeune Yasar abandonne alors son nom de naissance pour celui de Kemal, qui signifie le survivant en turc, et déménage à Istanbul, où il commence à travailler en tant que journaliste au sein du quotidien de gauche et laïque Cumhuriyet. C'est dans la plus grande ville de Turquie qu'il entame sa "carrière" de militant politique. Il adhère au Parti des travailleurs turcs et fonde une revue marxiste, tout en travaillant à son premier roman.
Contre la tyrannie
Ce sera Mehmed le mince, une série en quatre tomes. Il y raconte les aventures d'un villageois idéaliste contraint à vivre comme un hors-la-loi après sa révolte contre les seigneurs féodaux. Un récit porté à l'écran en 1984, réalisé et incarné par l'acteur et dramaturge britannique Peter Ustinov.
L'injustice sociale et le combat des pauvres contre la tyrannie et les privations restent des thèmes omniprésents dans l'oeuvre de l'auteur, comme dans Terre de fer, ciel de cuivre. La figure de son oncle, un bandit notoire assassiné à 25 ans, inspire les héros rebelles à la Robin des Bois qu'affectionne l'écrivain. Son écriture au style lyrique, riche en descriptions, puise directement dans les légendes et le folklore anatoliens.
À nouveau arrêté après le coup d'État militaire de 1971, il est emprisonné mais relâché grâce à une vague de protestations internationales. À la fin de la décennie, il est contraint à l'exil et part pour la Suède, où il restera deux ans. En 1995, Yasar Kemal subit encore les foudres de la justice, puni de prison avec sursis pour avoir dénoncé "l'oppression" des Kurdes. Mais l'écrivain refuse de se taire. "La guerre détruit la Turquie", déclare-t-il en 2007 au sujet des combats entre rebelles kurdes et armée, "je ne suis pas un héros mais j'ai le devoir de me faire entendre".
Toujours militant, il est le premier à voler au secours de son compatriote Orhan Pamuk, premier écrivain turc à remporter le Nobel de littérature, lorsqu'il est attaqué pour avoir osé reconnaître le génocide arménien de 1915. Au-delà de ses engagements politiques, Yasar Kemal reste avant tout un écrivain de génie. "Je n'écris pas sur des problèmes, je n'écris pas pour un public, je n'écris même pas pour moi. J'écris, tout simplement", résume-t-il un jour.
Distingué par de nombreux prix, décoré dans le monde entier, il ne parvient pourtant pas à décrocher le Nobel, une grande injustice aux yeux de nombreux Turcs. En 2001, il avait perdu sa femme, Thilda, une Belge issue d'une vieille famille juive qui a traduit une grande partie de son oeuvre en anglais et contribué à son succès mondial. Il laisse derrière lui son fils et sa seconde épouse Ayse Baban.