L’héroïne nationale aux gros seins

L’épopée de Triêu Thi Trinh est gravée dans la mémoire et dans le cœur de tous les Vietnamiens. Ils l’appellent affectueusement Triêu Âu - héroïne nationale aux gros seins - par respect et gratitude envers cette grande dame.

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Un temple dédié à l’héroïne Triêu Âu dans la province de Thanh Hoa, au Centre.
Photo : CTV/CVN

Dans l’ancienne société vietnamienne fortement marquée par le confucianisme, les jeunes filles de bonne famille devaient bander leur poitrine tant soit peu plantureuse, pour ne pas être taxées d’indécentes par les bien-pensants. Le terme "" (sein, mamelle) était tabou dans le langage poli. Il y avait pourtant une exception : les personnes les plus pudiques, quand elles parlaient de l’héroïne nationale Triêu Âu (Dame Triêu), n’hésitaient pas à mentionner ses seins monumentaux.

Un symbole du patriotisme

Le Ðai Nam quôc su diên ca (Histoire nationale du Ðai Nam racontée en vers), œuvre populaire achevée vers 1860, dépeint la Dame comme suit :

"Cuu Chân có a Triêu Kiêu,
Vú dài ba thuoc, tài kiêu hon nguoi
"

(Dans le Cuu Chân (province vietnamienne sous la domination chinoise, ndlr) vivait la demoiselle Triêu,

Qui avait des mamelles de trois thuoc (un thuoc = 40 cm) et un talent extraordinaire).

Le lettré confucéen Phan Diên (fin XIXe siècle) a rimé :

"Phai đánh vì chúng giac đên nhà,
Phât co vat vú cuoi voi ra
"

(Il fallait prendre les armes, puisque l’ennemi était venu dans la maison, elle leva l’étendard, et rejetant ses seins par-dessus ses épaules, elle fonça sur lui, à califourchon sur l’éléphant.)

Depuis plus de 1.700 ans, l’imagination populaire s’est cristallisée autour d’une image épique qui participe à la fois de l’histoire et de la légende.

Le temple Bà Triêu à Thanh Hoa a été classé en 2005 en tant que site national spécial.
Photo : ST/CVN

La Dame Triêu (Triêu Âu, Âu étant un vieux terme vietnamien pour appeler avec respect les gens âgées) se nommait en réalité Triêu Thi Trinh ou Triêu Trinh Nuong. Elle voit le jour dans la région montagneuse de Quân Yên (aujourd’hui province de Thanh Hoa, Centre). Orpheline de bonne heure, elle vit avec son frère Triêu Quôc Ðat, petit chef local. De caractère indépendant, elle cultive avec maîtrise les arts martiaux. Ne pouvant supporter sa belle-sœur cupide et acariâtre, elle s’enfuit dans la forêt à l’âge de 20 ans. À son frère qui la relance pour la marier, elle répond : "Je voudrais chevaucher les grands vents pour fendre les requins en pleine mer, chasser les envahisseurs, reconquérir le pays, défaire les liens de l’esclavage, et non plier l’échine pour me faire la concubine de n’importe qui". Son frère, conquis par sa détermination de combattre pour le pays, finit par la rejoindre à la tête de ses partisans qui luttent contre l’occupant chinois.

C’était vers le milieu du IIIe siècle de notre ère. Le Vietnam était dominé par l’Empire chinois depuis près de cinq siècles. Au temps de la Dame Triêu, la politique coloniale pratiquée par la dynastie royale chinoise des Wu (Ngô) était particulièrement dure. La population devait continuer à verser une double contribution : un tribut à la Cour chinoise et des taxes, impôts, corvées pour entretenir sur place l’administration et l’appareil militaire. La révolte séparatiste tramée par le fils d’un ancien gouverneur chinois, Si Nhiêp (Shi Sie), fut l’occasion d’une répression sanglante coûtant la vie à des centaines de milliers d’indigènes. En outre, des milliers d’artisans vietnamiens furent exilés pour participer à la construction de la nouvelle capitale des Wu.

L’insurrection de Dame Triêu éclata en 248. Soutenue par la population, elle enleva les postes chinois les uns après les autres. Les administrateurs chinois prirent la fuite. Les soldats Wu disaient entre eux : "Il est plus facile de se défendre avec une lance contre le tigre que d’affronter la Reine elle-même".

Femme mythique du monde

Elle était surnommée "Nhung kiêu tuong quân" (La Générale pleine de grâce) et "Lê Hai Bà Vuong" (La belle Reine de la Région maritime). Les Wu envoyèrent contre elle un général de chasse, Lu Yin (Luc Dâu) qui, par la force et la ruse, réussit à la vaincre. On raconte qu’au cours d’un combat, il fit avancer des soldats totalement nus. Cet attentat éhonté à la pudeur fit reculer la Dame et ses soldates. Elle se donna la mort à 23 ans au mont Tùng Son qui abrite encore son tombeau au sommet et son temple au pied.

Il y a deux ans, France Association et USA Foundation ont décidé l’élaborer une Encyclopédie de femmes mythiques du monde. Chacun des 185 pays concernés a désigné un comité national pour proposer une liste nationale de son choix. Parmi les figures sélectionnées par le Comité vietnamien, quelques-unes dont la Dame Triêu ont obtenu 100% des voix. Cette personnalité exceptionnelle vit dans la mémoire vietnamienne parce qu’elle constitue un double symbole. Avec les deux sœurs Trung (Ier siècle), elle s’est imposée à la postérité comme les premières incarnations du patriotisme, trois femmes. De plus, son indépendance d’esprit a fait d’elle un précurseur du féminisme.

Huu Ngoc/CVN
(Octobre 1999)

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