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Dans le quartier commercial et des affaires de Lat Phrao, à Bangkok, après une inondation, le 7 novembre novembre 2011. |
Vue du ciel, l'impression est saisissante : des immeubles serrés comme des sardines, prêts à se jeter à l'eau, des routes collées au rivage, des pistes d’atterrissage presque les pieds dans des baies.
De Bombay à Miami, Dacca ou Venise, ces cités et leurs millions d'habitants installés à l'embouchure d'estuaires ou sur les lignes sinueuses du littoral sont "en première ligne" de la crise climatique qui risque de redessiner les cartes des continents, s'inquiète un projet de rapport des experts climat de l'ONU (Giec) obtenu en exclusivité par l'AFP.
"Le niveau de la mer continue à monter, les inondations et les vagues-submersion sont de plus en plus fréquentes et intenses, le réchauffement accroît l'acidité de l'océan et intensifie les canicules", constatent les scientifiques dans ce rapport de 4.000 pages sur les impacts du changement climatique. Alors "il va falloir faire des choix difficiles".
Sous l'effet combiné de la dilatation des océans et de la fonte des glaces provoquées par le réchauffement, la hausse du niveau des mers menace également de contaminer à l'eau salée les sols agricoles et d'engloutir des infrastructures stratégiques, comme ports ou aéroports.
Un "danger pour les sociétés et l'économie mondiale en général", s'alarme le Giec : environ 10% de la population mondiale et des actifs sont à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Et pour certaines mégalopoles, les deltas, les petites îles et les communautés arctiques, les conséquences pourraient se faire sentir très vite, du vivant de la plupart des populations actuelles.
"Mourir noyés"
Au Bangladesh, Yasmin Begum, 30 ans, n'a pas oublié la puissance destructrice de l'eau qui a emporté en une nuit, il y a douze ans, tout ce que sa famille possédait sur l'île de Bhola, à l'embouchure du fleuve Meghna.
"Mes beaux-parents et mes parents, ils avaient tout : du bétail, une jolie maison, des terres agricoles. Le fleuve a tout pris", raconte cette mère de trois enfants à l'AFP.
Avec sa famille, elle a fui les flots, sans pour autant être aujourd'hui à l'abri, derrière une digue à quelques mètres du fleuve, dans un bidonville de la capitale Dacca. "Nous allons probablement mourir noyés. Nous n'avons pas d'autre solution".
Les migrations liées au climat ont déjà commencé au Bangladesh où un million de personnes pourraient être déplacées par la hausse du niveau de la mer d'ici 2050.
Dacca sera probablement une destination privilégiée pour ces naufragés climatiques. Mais la mégalopole elle-même est menacée.
Alors que les scientifiques estiment que dans un monde à +2°C par rapport à l'ère pré-industrielle (objectif minimal de l'accord de Paris), le niveau de l'océan pourrait gagner 60 cm d'ici la fin du siècle. Le destin de nombreuses villes côtières est "lugubre" sans une baisse drastique des émissions de CO2, poursuit le Giec.
Et quel que soit le rythme de ces émissions, "la hausse du niveau des océans s'accélère et continuera à le faire pendant des millénaires", insiste le rapport.
"La plupart des villes côtières peuvent mourir. Beaucoup d'entre elles seront éliminées par les inondations à long terme. D'ici 2050, on aura une idée plus précise", explique Ben Strauss, de l'organisation Climate Central.
Mais en dépit de ces sombres prédictions, les villes côtières continuent de grossir, multipliant les victimes potentielles, en particulier en Asie et en Afrique.
"Une baignoire"
Alors comment ces mégalopoles peuvent-elles se protéger ?
Mises en place de digues, construction de véritables murs, réhabilitation des écosystèmes comme les mangroves naturellement protectrices des côtes... Les solutions miracle n'existent pas et les choix à faire sont multiples et de plus en plus compliqués.
"Nous devons agir, et agir maintenant, parce que nous sommes déjà en retard", commente Johan Verlinde, responsable du programme d'adaptation au réchauffement à Rotterdam.
Avec 85% de son territoire sous le niveau de la mer, la ville néerlandaise est "comme une baignoire", explique-t-il. "Nous devons pomper chaque goute d'eau qui tombe. Nous devons vraiment innover pour garder nos pieds au sec".
Des innovations high-tech et des chantiers d'envergure que tous les pays ne peuvent pas s'offrir.
Mais même tout l'argent du monde n'est pas une garantie à terme contre une évacuation forcée, prévient le Giec.
L'Indonésie a déjà prévu de déplacer sa capitale Jakarta à Bornéo. Encore faudra-t-il convaincre les populations d'abandonner leur foyer voué à la submersion, quel que soit le continent.
Atlantide
Certaines constructions sont en outre irremplaçables, comme à Venise, chef d'oeuvre architectural classé au patrimoine mondial de l'Unesco.
Plus de 90% des habitations de la cité des Doges sont menacées par les inondations. Lors des fameux épisodes d'acqua alta, pics de marées qui inondent jusqu'à la place Saint-Marc, des dizaines de digues peuvent désormais être déployées aux points d'entrée de la lagune.
Mais si le niveau de la mer gagne 30 cm, l'eau envahissant la ville pourrait stagner pendant des semaines.
Légendes de cités englouties par les eaux, comme l'Atlantide, ou déluges des récits de nombreuses religions : "Beaucoup de nos vieilles histoires font référence à des pécheurs punis par les flots", note Ben Strauss.
Et si jusqu'à présent, la responsabilité des humains dans le déluge n'est pas prouvée, désormais nos choix pourraient créer de véritables Atlantides.
"Nos efforts pour stopper le changement climatique sont destinés à protéger nos vies d'aujourd'hui, mais dessinent aussi les histoires que nos descendants raconteront sur nous", souligne Ben Strauss.
"Et je pense que les histoires qui raconteront ce que nous avons perdu, ce que nous n'avons pas réussi à protéger seront nombreuses".
AFP/VNA/CVN