Les quatre colonnes de la peinture vietnamienne

Depuis plus de trois quarts de siècle, quatre générations de peintres se succèdent : celle qui s’est affirmée avant la Révolution de 1945, celle de la guerre anti-française, celle de la guerre anti-américaine et celle d’après-guerre.

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Après la réalisation de la politique de Renouveau (1986), la peinture vietnamienne a pris un essor sans précédent.
Photo : Thê Lâp/VNA/CVN

La céramique, la sculpture, l’architecture, le travail artisanal du bambou, du bois, de la pierre… ont de fortes et lointaines racines au Vietnam. Mais nous n’avons pas une tradition picturale de longue date, mis à part les dessins gravés sur les tambours de l’âge du bronze.

La peinture vietnamienne moderne est née à partir de la fondation de l’École des beaux-arts de l’Indochine. Nos artistes ont réussi à créer un art qui amalgame la modernité et la tradition pour exprimer des idées et des sentiments vietnamiens.

Depuis plus de trois quarts de siècle, quatre générations de peintres se succèdent.

La première génération

Chacune a ses "colonnes" ou piliers (tru), ses principaux représentants consacrés par le consensus des milieux culturels. Le terme tru provient de l’expression Tu tru qui désigne les quatre colonnes principales de la maison vietnamienne et, par extension, les quatre plus grands dignitaires de la Cour royale.

Les quatre colonnes de la première génération sont : Nguyên Gia Tri, Nguyên Truong Lân, Tô Ngoc Vân et Trân Van Cân. Leurs noms sont réunis dans cet adage populaire rimé : "Nhât Tri, nhì Lân, tam Vân, tu Cân" (1er Tri, 2e Lân, 3e Vân, 4e Cân).

Les quatre colonnes de la deuxième génération sont Nguyên Tu Nghiêm, Duong Bích Liên, Nguyên Sáng et Bùi Xuân Phái ; ce qui donne l’adage rimé : "Nghiêm - Liên - Sáng - Phái".

On n’a pas encore choisi de colonnes pour les troisième et quatrième générations, tant il est difficile de se mettre d’accord sur les vivants.

L'œuvre "Phô cu" de Bùi Xuân Phái.
Photo : CTV/CVN

La première génération, les aînés, a eu le mérite d’ouvrir une brèche en adaptant l’art occidental à la tradition vietnamienne. Ses œuvres, très personnelles, sentent l’influence néoclassique décorative, romantique exotique, avec une touche de néo-impressionnisme - de ses maîtres (Tardieu, Inguimberty).

La deuxième génération a poussé plus loin : approche moderniste en même temps que recherche approfondie de la souche vietnamienne, ce afin de se doter d’une vision picturale spécifiquement vietnamienne.

Un patrimoine inestimable

Les artistes voulaient s’affranchir de la façon de voir de l’École des beaux-arts de l’Indochine, tout en se tenant à l’écart d’un réalisme socialiste trop strict, chacun créant sa propre voie. Longtemps méconnus, ils ont connu une vie matérielle difficile. Leurs œuvres n’ont pu bénéficier d’expositions individuelles qu’à partir de 1984, à la veille de la politique de Renouveau, grâce aux efforts du groupe de Dang Thi Khuê du secrétariat de l’Association des arts plastiques du Vietnam. Plusieurs d’entre eux ont été finalement consacrés par le Prix Hô Chi Minh.

Nguyên Tu Nghiêm (1922-2016) a réussi à fusionner tradition vietnamienne - xylographie, laque (perspective de convention au lieu de la perspective aérienne, aplats, couleurs locales…) - et modernité (expressionnisme, cubisme…). Étudiant, il avait accompagné Nguyên Dô Cung pour fouiller les trésors d’anciens temples et pagodes. Il n’a cessé d’approfondir ses connaissances du passé vietnamien. Chacune de ses œuvres combine des éléments historiques, archéologiques, culturels pour saisir l’identité vietnamienne. Point n’est étonnant qu’il traite le même sujet des dizaines de fois (comme celui de la "Danse ancienne" à plusieurs reprises en 27 ans). Ses œuvres les plus connues sont : Le Génie Gióng, Dragon, Kiêu…

Nguyên Sáng (1923-1988) paraît le plus "engagé" politiquement, d’après le nombre de ses œuvres consacrées à la Révolution et à la Résistance auxquelles il a participé le début : L’ennemi brûle mon village, Opération sous la pluie, Terre d’acier. Ce qui ne l’empêche pas d’être un maître de la laque, du portrait et du lyrisme. Lors de mon dernier voyage dans le Sud, j’ai pu constater combien sa mémoire est honorée dans sa province natale de My Tho (capitale actuelle de la province de Tiên Giang). Ses créations respirent le tempérament de l’homme du Sud : ouvert, franc, exubérant. Ce sont des compositions simples aux formes et aux couleurs robustes.

Bùi Xuân Phái (1920-1988) est réputé comme chantre des rues de l’ancienne Hanoï avec ses coins déserts, ses pans de mur moussus, ses banians séculaires, ses maisons inclinées serrées aux tuiles couleur du temps. Il cerne non sans mélancolie l’âme d’une époque et d’une vieille cité qui s’en va. Le second sujet préféré de Phái concerne les acteurs de l’opéra populaire chèo dont il décrit avec malice la bohême et le pittoresque. On comprend le pourquoi de ces sujets si on lit la phrase de Cézanne qu’il a retranscrite sur le portrait qu’il a fait de l’artiste français : "Le monde ne me comprend pas. Et moi, je ne comprends pas le monde". Artiste passionné, Phái se renouvelle à chaque instant en peignant et dessinant partout, sur tout matériel et tous les sujets (portrait, nu, jeune fille, marché).

Duong Bích Liên, plus fidèle à l’esprit de l’École des beaux-arts de l’Indochine, innove moins que les trois premières colonnes. Le romantisme de la première génération ne l’a pas quitté. Déçu dans ses convictions et son amour - il a failli se suicider et s’est mis à boire -, il a laissé une œuvre hantée par le regret, celui d’un talent qui n’a pu se réaliser.

Huu Ngoc/CVN

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