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La fête Nàng Hai commence le 30e jour du 1er mois lunaire et dure 50 jours. |
Photo : PNCB/CVN |
Au temps de la colonisation française, j’avais au lycée un copain de classe, un Tày de Cao Bang (Nord). Il me parlait toujours avec passion des fêtes populaires de sa province montagnarde à la frontière chinoise. Il a fini par me communiquer son enthousiasme.
Pendant la première guerre d’Indochine, j’ai eu l’occasion de venir plus d’une fois à Cao Bang où était installé un camp de prisonniers de guerre réservé aux officiers français. Officier politique de l’Armée populaire, j’y ai donné des causeries sur le Vietnam et sa culture. Il va sans dire que dans la région, toute fête était alors suspendue, ce que je regrette infiniment parce que nombre de fêtes populaires y ont disparu après un demi-siècle de bouleversements sociaux et économiques dus à la révolution, la guerre, la modernisation…
Une fête traditionnelle des Tày
En général, le groupe ethnique Tày concentré à Cao Bang et Lang Son, et disséminé dans quelques autres provinces des haute et moyenne régions du Nord, célèbre les mêmes fêtes de village.
On distingue les fêtes foraines (hang toan) organisées une fois l’an dans un certain nombre de régions, pour la vente et l’achat, mais surtout pour que filles et garçons y échangent des chansons d’amour sli et luon ; les fêtes de temples et pagodes, moins somptueuses que dans la plaine ; les fêtes agricoles avec les fêtes de la descente dans la rizière, des feuilles de riz, des mânes du buffle, du nouveau riz (moisson).
Malheureusement, la fête des Nàng Hai ou Nàng Trang, spécifiquement Tày, est tombée dans l’oubli.
Dans son étude intitulée "La fête cérémoniale des Nàng Hai des Tày de Cao Bang", Nguyên Thi Yên nous a donné une description et une analyse élaborées de ce phénomène populaire. Comme la possession, état psychique dans lequel une personne est habitée par un être surnaturel, est la caractéristique essentielle de la fête, l’auteur la rattache au chamanisme. Ce dernier se définit comme un ensemble de pratiques magico-religieuses faisant appel aux esprits de la nature et comportant des techniques de communication avec les morts et les esprits, de divination et de guérison qui se manifestent par la transe et l’extase.
La fête Nàng Hai est la synthèse de toutes les fêtes villageoises Tày. |
Photo : CTV/CVN |
Comme l’ethnie majoritaire Kinh, les Tày croient que l’âme humaine a trois âmes indépendantes du corps appelées hôn, et d’autres composantes nommées vía ou phách, immatérielles aussi mais liées au corps (sept chez l’homme, neuf chez la femme).
Régis par l’animisme, les Tày attribuent à chaque objet inanimé une âme (ou esprit) ; il existe une catégorie d’âmes (esprits) particulières appelées Nàng conçues comme des Demoiselles éthérées, par exemple Nàng Xay (Demoiselle Œuf), Nàng Ram (Grain de Son), Nàng Hai (Demoiselle Seconde) ou Nàng Trang (Demoiselle de la Lune)… Cette dernière, qui participe de l’univers, est esprit pur et ne s’incorpore pas à un objet concret, œuf, grain de son, baguette d’encens…
On peut inviter les Nàng (Demoiselles) à venir au monde des mortels par le rite de la possession.
Trois contenus de la fête Nàng Hai
La fête Nàng Hai est la synthèse de toutes les fêtes villageoises Tày, avec leurs trois contenus : vœux pour une moisson abondante, vœux de bonheur, vœux pour un mariage heureux.
Nguyên Thi Yên a avancé une hypothèse pour expliquer la genèse et la signification de la fête Nàng Hai. Celle-ci proviendrait de la fusion des croyances Tày autochtones (rites agricoles de la fécondité, rites animistes) et d’éléments religieux Kinh apportés par la dynastie usurpatrice des Mac (au XVIe siècle) retranchée dans Cao Bang et par les troupes Kinh de la dynastie légitime des Lê, en particulier du général Dinh Van Ta (XVIIe siècle), venues combattre les Mac (en particulier le culte des Mâu - Déesses Mères).
La fête Nàng Hai crée une communion populaire sous le signe des meilleurs sentiments : hommage à la femme (assimilée à la lune, astre de la fécondité), amour de la nature (surtout des fleurs), joie dans la solidarité.
La fête commence le 30e jour du 1er mois lunaire et dure 50 jours, jusqu’à la fin du 3e mois lunaire. Les principaux protagonistes sont mère Me Côi qui dirige les cérémonies, deux jeunes filles belles et vertueuses appelées Cuong (habillée de Jaune) et So (de rouge) jouant le rôle de Nàng Hai (Demoiselles Secondes ou de la Lune), une quinzaine de demoiselles d’honneur. Les accessoires scéniques comprennent, entre autres, les éventails afin d’accompagner les danses, les jonques pour le voyage au Muong Troi (région céleste).
Le spectacle, qui rappelle un peu l’atmosphère des "mystères" et des "miracles" du Moyen Âge en Europe, se déroule en plusieurs épisodes. Invitation aux Demoiselles Nàng Hai à descendre de la Lune, pour habiter les corps de Cuong et de So qui conduisent les villageois au Ciel pour présenter des offrandes aux Mères de la Lune et demander à ces dernières de bonnes récoltes, de la santé, du bonheur, des couples heureux. Cuong et So offrent un festin de fleurs aux Mères de la Lune, qui ont donné au village des semences, des alevins, des vers à soie, toutes sortes de plantes sauvages. Les Nàng Hai reviennent à la terre pour prendre congé des villageois.
Durant toute l’histoire racontée et interprétée au fil des chansons liturgiques, Cuong et So, habitées par Nàng Hai, entrent en transe. C’est la dernière nuit - car la scène se joue la nuit - qui est la plus animée. Les adieux se font au bord d’une source où se réunissent les villageois.
(Mars 2005)