>> À Hong Kong, l'impression 3D plonge au secours des coraux
>> Des Tunisiens créent une main bionique modulable imprimée en 3D
Un pistolet "Liberator" en plastique imprimé en 3D, le 11 juillet 2013 à Hanvoer, aux États-Unis, |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Le 22 septembre, l'Islande apprend effarée l'arrestation de quatre hommes suspectés de vouloir attaquer des institutions étatiques. Dans l'arsenal perquisitionné, des armes semi-automatiques imprimées en trois dimensions.
A quelques jours d'intervalle en Espagne, la Guardia civil, aiguillée par une transaction suspecte de précurseurs d'explosifs via une plateforme de commerce en ligne, découvre la fabrique clandestine d'un quinquagénaire à Bermeo, au Pays basque.
Elle y saisit entre autres deux imprimantes 3D dernière génération, des armatures de pistolets et de nombreuses bobines de filaments plastique PLA.
Avant lui, elle avait interpellé en avril 2021 un homme, isolé dans la campagne de La Corogne (nord-ouest), sur le point de terminer en toute illégalité la fabrication d'un fusil d'assaut AR39.
"L'impression d'armes en 3D n'est pas un phénomène nouveau", celui des armes improvisées encore moins, souligne Europol dans un courriel adressé à l'AFP, et "produire une arme complète en 3D reste un défi comparé aux armes conventionnelles en terme de qualité".
"L'évolution rapide de la technologie peut toutefois en faire une menace plus importante dans un avenir proche", ajoute l'Office européen de police.
Progrès technologiques
C'est aux États-Unis, où la fabrication d'armes pour l'usage personnel est légale, qu'un certain Cody Wilson est le premier en 2013 à présenter une arme tout en plastique exception faite du percuteur, en métal: le "Liberator", du nom des armes à un coup parachutées par les Alliés dans les pays occupés par l'Allemagne lors de la Seconde guerre mondiale.
En détournant les progrès technologiques, ce crypto-anarchiste entend défendre la liberté inconditionnelle d'expression et de posséder une arme, protégée par la Constitution américaine.
Ses plans se partagent sur le net, un réseau virtuel se tisse, y compris en Europe. Là, un dénommé JStark se fait un nom avec son FGC-9 (pour Fuck Gun control), un semi-automatique fait à 80% en plastique avec des pièces et matériaux vendus librement en quincaillerie, pour contourner les interdictions.
En parallèle, la performance des imprimantes progresse, leur prix baissent: de 200, pour les plus rustiques, à plusieurs dizaines de milliers d'euros pour une imprimante SLS, dont la technologie consiste à fritter des particules de poudre de polymère en une structure solide.
Tous les programmes indispensables pour les configurer sont disponibles sur le Darknet.
Selon Christian Goblas, expert en balistique à l'université de Rouen, l'impression "3D métallique" deviendra abordable dans les dix prochaines années, permettant la production de pièces d'armes résistantes aux manipulations et au fonctionnement cinématique.
"Fantasme" ?
Cody Wilson tient un pistolet "Liberator" imprimé en 3D, le 1er août 2018 à Austin, au Texas, |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Pour l'heure, "une arme entièrement en plastique qui ne sonnerait pas aux portiques, c'est du fantasme", dit-il. Sans parler de ses munitions.
La carcasse ou les poignées peuvent être imprimées, mais "à ce stade, nous n’avons pas vu les pièces très précises qui doivent être résistantes", comme le canon ou la détente, "être modélisées en 3D", abonde William Hippert, chef du service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée en France.
Selon lui, il n'existe pas de filière d'écoulement structurée pour ce type d'armes.
Dans l'Hexagone, celles qui sont retrouvées proviennent généralement de l’étranger, avec des éléments commandés sur internet auprès de fournisseurs basés à l’étranger, en Amérique du Nord principalement.
Qui s'adonne donc à une fabrication chronophage, possiblement dangereuse et plus onéreuse que l'achat d'armes conventionnelles sur le marché noir (entre 500 et 1.500 euros pour une kalashnikov en France) ?
"C'est un phénomène mondial mais il reste émergent. Il englobe des profils très variés, avec un spectre idéologique très large", résume Rajan Basra, chercheur au centre international d'études de la radicalisation au King's College de Londres.
La plupart sont des collectionneurs motivés ou des "idéologues", "survivalistes" ou désireux de rivaliser avec les autorités.
Option plus viable
Quand la police hongkongaise saisit en septembre dernier des armes fabriquées en 3D attribuées aux opposants pro-démocratie, ou quand des rebelles au Myanmar posent sur les réseaux sociaux avec des FGC-9, c'est selon M. Basra l'incarnation-même du concept libertarien initial.
Dans une moindre mesure, des extrémistes considèrent les armes imprimées comme une option de plus en plus viable, notamment dans des territoires comme l'Europe ou le Canada où l'acquisition d'armes à feu est illégale ou soumise à un permis, relèvent comme lui d'autres universitaires interrogés.
C'est la méthode qu'a choisie notamment en 2019 le tireur de Halle, en Allemagne, lors de son attaque contre une synagogue et un restaurant turc qui a fait deux morts.
Onze des douze dernières saisies en Europe impliquent des militants d'extrême-droite, relève Rajan Basra.
Il est toutefois "peu probable que l'impression 3D soit l'avenir du terrorisme: des options plus meurtrières et plus faciles sont disponibles et elle n'est qu'une des nombreuses tactiques innovantes possibles, outre les drones ou les armes chimiques et biologiques", relève Jacob Ware, chercheur en contre-terrorisme au Council on Foreign Relations.
Il faut donc adapter les législations "avant qu'il ne soit trop tard", poursuit-il. Et aller au-delà de ce qu'ont fait, par exemple, les Etats-Unis en obligeant depuis fin août les marchands d'armes à feu et armuriers titulaires d'une licence fédérale à inclure un numéro de série pour les armes imprimées en 3D.
AFP/VNA/CVN