>>Balade dans des villages de métier à Hanoi
>>L’art de la broderie des costumes royaux d’hier et d’aujourd’hui
Le tombeau de Lê Công Hành dans le village de Quât Dông. |
Bùi Trân Chuyên, fonctionnaire à la retraite, chef de la famille des Bùi Trân, me montre les trois morceaux d’une grosse stèle de pierre brisée datant de 1814 : «Elle chante, me dit-il, les mérites de notre ancêtre Lê Công Hành qui a vécu au XVIIe siècle et est reconnu comme Saint patron de deux métiers traditionnels : la broderie et la fabrication des parasols. À cause des trente années de guerre et des bouleversements sociaux, nous n’avons pu retrouver la stèle endommagée que l’année dernière».
Nous sommes dans la cour du temple familial de Lê Công Hành, au village des brodeurs de Quât Dông, district de Thuong Tin, Hanoï, à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. L’histoire de Lê Công Hành, plus ou moins teintée par l’imagination populaire, nous apprend beaucoup de choses sur les villages aux métiers traditionnels et les relations complexes entre le Vietnam et la Chine dans l’ancien temps.
Lê Công Hành (1606-1661) (voir encadré) est né dans une famille très pauvre. Intelligent et passionné par les études, il dut tout jeune chercher du bois et pêcher des crevettes pour pourvoir en partie à l’entretien de la famille. Il fut reçu Docteur ès humanités et nommé mandarin à la Cour des Lê. En 1646, il fut envoyé en mission d’ambassade en Chine.
Relever les défis en Chine
La Cour Céleste, pleine de morgue, avait l’habitude d’humilier et de mettre à l’épreuve les représentants des petits pays tributaires tels que le Vietnam. Par contre, les envoyés du Vietnam profitaient de leur séjour en Chine pour apprendre les secrets techniques. En territoire chinois, le guide céleste abandonna la mission vietnamienne de Lê Công Hành dans une immense forêt touffue. Le chef de la mission fit abattre des bambous pour fabriquer des nasses. Les Vietnamiens surmontèrent l’épreuve de la faim en vivant de pêche et de cueillette.
Vint ensuite l’épreuve de l’intelligence. À la Cour impériale, Lê Công Hành fut invité à monter à l’étage d’un pavillon isolé... L’échelle lui fut enlevée : il n’y avait pas d’escalier, que faire ? Le prisonnier vécut dans la salle unique un autel où trônaient deux bouddhas laqués or, décoré d’un panneau de soie portant des idéogrammes brodés : «Bouddha est dans le cœur». Aux deux côtés se dressaient deux parasols de culte. Dans un coin se trouvaient une jarre d’eau et un couteau. Il fallait déchiffrer l’énigme pour ne pas mourir de faim. Lê Công Hành réfléchit et trouva.
Les produits du village de broderie de Quât Dông sont exportés vers de nombreux pays à travers le monde. Photo : Trong Dat/VNA/CVN
Devinant le sens des idéogrammes, il prit le couteau et tailla un morceau dans le corps d’un bouddha qui était fait de farine de riz séché. L’eau ne manquait pas. Pour tuer le temps, jour après jour, le prisonnier défit les broderies sur le panneau pour en étudier les points, nota la fabrication des parasols. Mais la nourriture offerte par les bouddhas allait s’épuiser. Un soir, observant le vol des chauves-souris, il eut l’idée de tenter une descente de l’étage avec un parasol dans chaque main. Il le fit et réussit. La Cour de Chine admira son intelligence et son courage et le traita avec égard jusqu’à son retour au Vietnam où il devait devenir ministre.
Apprendre aux villageois à broder
Revenu au pays natal, Lê Công Hành enseigna aux gens de son village l’art de broder et de fabriquer des parasols. Les ouvriers de Quât Dông ont diffusé leur métier dans tout le pays : c’est ainsi qu’à Hanoï, il existait une rue des Parasols, une corporation de brodeurs dans la ruelle Yên Thai où se trouve la maison communale Tu Dinh thi (ancien marché de broderies), à Huê dans la rue des brodeurs Câm Tu...
Comme Lê Công Hành a été consacré Génie de catégorie moyenne par brevet royal, son culte est perpétué non seulement au temple de Ngu Xa près de son village, mais partout où vivent les groupes de brodeurs originaires de Quât Dông.
À l’anniversaire du Saint patron, on évite de présenter comme offrandes cultuelles maïs gluant et soja vert. D’après la légende, Lê Công Hành aurait rapporté clandestinement de Chine les semences de ces végétaux en les cachant dans ses cuisses fendues.
Selon les anciennes archives, la broderie était apparue au Vietnam bien avant Lê Công Hành, au Ier siècle de l’ère chrétienne. En 1156, sous les Ly, parmi les tributs envoyés à la Cour de Chine figuraient 850 pièces de brocart brodées de dragons.
En tout cas, la broderie à l’origine était un art au service du culte (panneaux décorant les autels, parasols, oriflammes...) et de l’aristocratie (costumes d’apparat, palanquins...). Elle n’est devenue un article populaire qu’à l’époque moderne avec la formation d’une couche petite bourgeoise des villes. Dès l’époque coloniale française, la broderie vietnamienne était très appréciée sur le marché international. Les brodeurs de Quât Dông créent de véritables tableaux brodés (paysages, portraits...). Dans l’ancien Vietnam, les filles des familles respectables devaient savoir broder.
Quelques mots sur Lê Công Hành
Il était membre de la dynastie royale des Mac considérée comme usurpatrice. Sa famille a dû troquer le nom de Mac contre celui de Trân. Il s’appelait alors Trân Quôc Khai. Il fut adopté par la famille des Bùi, de là la famille Bùi-Trân. Son nom définitif fut Lê Công Hành.
(Décembre 1997)
Huu Ngoc/CVN