Le syndrome de Stockholm

Entretien avec le Dr. Vu Van Dzi d'Oklahoma

Un fait divers vient de causer un grand émoi au public américain. La police de Californie a pu retrouver une fillette de 11 ans, Dugard, dont on avait perdu la trace pendant 18 ans, aujourd'hui une femme de 29 ans. Le coupable Garrido, et sa femme avaient caché Dugard dans une tente dans le jardin derrière leur maison. Pendant la réclusion, elle avait donné naissance à 2 enfants. Pourquoi durant une longue période, la victime n'avait pas cherché à se libérer de ce monstre lubrique bien qu'il lui fût permis d'aller parfois de faire des emplettes en ville ?

J'ai posé la question au Dr Vu Van Dzi, esprit curieux qui, en dehors de la science médicale, s'intéresse à la sociologie et à la psychanalyse. Ci-dessous est notre entretien :

Huu Ngoc (HN) : Du point de vue psychothérapeutique, comment expliques-vous ce phénomène ?

Dr Vu Van Dzi (VVD) : Depuis longtemps, les psychothérapeutes ont identifié le phénomène de captifs fraternisant avec leurs bourreaux, parfois, même les bénissant. C'est ce qu'on appelle syndrome de Stockholm, du fait que 5 employés de banque à Stockholm kidnappés comme otages en 1973 ont finalement pris la défense des cambrioleurs. On a observé par la suite des actes pareils. On les a analysés pour en déceler la motivation et le mécanisme. Les journalistes peu avertis au sujet des mobiles psychologiques des victimes ont répandu des interprétations fantaisistes.

HN : En somme, qu'est-ce que c'est, le syndrome de Stockholm ?

VVD : Le concept COGNITIVE DISSONANCE nous en donne la clé. C'est-à-dire que, accablé par un sort adverse, la victime au lieu de réagir par la défense s'y soumet. Elle se donne des raisons pour s'adapter aux nouvelles circonstances afin d'éviter la mort ou le martyre. Au bout d'un temps plus ou moins long, elle s'habitue à la nouvelle vie et peut même éprouver de l'affection pour le bourreau.

Le psychanalyse rattache cette évolution psychologique à l'instinct de conservation. La dépendance de la victime rappelle celle du bébé sous celle sa mère qui l'allaite.

HN : Sous cet angle, l'histoire universelle pourrait présenter bien des exemples de syndrome de Stockholm.

VVD : Bien sûr. Le cas typique est celui des Sabines faites prisonnières par les Romains. Les compagnons de Romulus manquant de femmes auraient invité leurs voisins les Sabins à une fête pour s'emparer de leurs épouses et de leurs filles. Lorsque les Sabins vinrent délivrer ces dernières, elles prirent le parti des ravisseurs, elles se mirent entre les deux armées pour empêcher le combat. Le peintre David en a fait un tableau célèbre.

Dans la mythologie grecque, la belle princesse Hélène, épouse de Ménélas enlevée par le prince troyen Pâris, refusa de revenir au foyer, ce qui provoqua la guerre de Troie racontée par Homère dans l'Iliade.

HN : Est-ce vrai que les femmes capturées pendant les guerres entre les nations et les peuples se résignent en général à leur sort ?

VVD : C'est ce que pense plus d'un anthropologue culturel. Mariées ou non, ces captives le font pour préserver leur vie. Les cas de Pénélope usant d'un stratagème pour attendre son mari on de la reine Cham Mò Ê se suicidant pour ne pas être souillée par un roi vietnamien sont plutôt rares.

HN : Mi Ê s'était jetée dans le fleuve sans doute à cause de l'influence de la conception éthique Cham concernant les liens indissolubles du mariage. Le cas de la princesse vietnamienne Huyên Trân (14e siècle) mariée au roi Cham Chè Mân en échange d'un territoire qui devait devenir Huê la future capitale du Vietnam avait un dénouement plus heureux. Onze mois après les noces, comme le souverain Cham mourut, la reine allait être brûlée vive pour accompagner son mari selon la coutume hindoue. Deux émissaires vietnamiens dont l'un aurait été un ancien amoureux de Huyên Trân proposèrent de faire la cérémonie au bord de la mer. Ils en profitèrent pour enlever la veuve et faire voile vers le Vietnam.

VVD : À une échelle plus large, il arrive que tout un peuple accepte un compromis pour vivre sous le joug de l'envahisseur après sa con-quête sanglante. Ainsi les femmes chinoises ne refusaient pas le mariage avec les conquérants mongols et mandchous.

Chez nous, à la frontière, les femmes vietnamiennes kidnappées par les pirates et vendues en Chine adoptaient leurs nouvelles familles.

Au Moyen-Orient et en Asie centrale, se préserve le rite de l'enlèvement de la mariée au cours de la cérémonie du mariage.

HN : Chez nous, cette pratique est observée chez les montagnards Hmông, je l'ai remarqué lors de mon dernier voyage à Yên Bai. Je pense qu'elle est plutôt progressiste : elle n'a lieu que dans le cas où le marié est trop pauvre pour pouvoir payer les offrandes nuptiales requises ou que le jeune homme ou la jeune fille n'obtient pas le consentement parental. Avec des intermédiaires, on organise un pseudo enlèvement. On fait semblant d'emporter par la force la fille à la maison de son amoureux. Mariage blanc. Après un séjour de quelques jours chez le garçon, la fille est libre de rentrer chez elle. Dans le cas contraire, les deux familles sont obligées de célébrer le vrai mariage.

VVD: Justement, les immigrants Hmông aux États-Unis continuent à appliquer cette pratique, ce qui cause pas mal de fil à retordre aux juristes du Wisconsin et du Minnesota. Notons d'autre part que c'est à cause du syndrome de Stockholm que dans les prisons d'État, certains prisonniers finissent par transiger avec leurs gardiens.

Au temps de la formation des États-Unis, des femmes blanches enlevées par des tribus indiennes refusaient d'être libérées. Obligées de rejoindre leur famille, certaines se suicidaient ou dépérissaient à vue d'œil. Après la Guerre de Corée 1950-53, il y avait des P.G américains qui demandaient à rester en Corée du Nord ou en Chine. De même, au lendemain de la guerre franco-vietnamienne 1946-54, il y avait de prisonniers blancs ou africains qui ne rentraient pas chez eux.

HN : J'ai mon mot à dire là-dessus, puisque j'étais alors responsable du Comité de rééducation des P.G européens et africains. Le syndrome de Stockholm n'y était pour rien. Les P.G restaient au Vietnam soit par conversion politique, soit pour des raisons économiques ; les P.G du Maghreb craignaient de chômer chez eux.

Huu Ngoc/CVN

(05/11/2009)

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