>>Les populations d'animaux marins ont chuté de moitié en 40 ans
>>Les océans durement affectés par le changement climatique
>>Le déclin des populations de requins laisse un "trou croissant" dans la vie océanique
Représentation d'un échantillon de Calanus helgolandicus, un type de plancton, au siège de l'association de biologie marine à Plymouth, au Royaume-Uni, le 26 août. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
L'engin ramené des eaux sur le pont du navire, au large de Plymouth en Grande-Bretagne, a des airs de petit vaisseau spatial dessiné par un enfant : c'est un appareil qui recueille du plancton en continu, un Continuous Plankton Recorder (CPR).
Depuis 90 ans, navires marchands et bateaux de pêche en trainent derrière eux sur leurs routes maritimes à travers le monde pour rapporter aux chercheurs des échantillons des plus petits habitants des océans.
Le plancton est à la base de la chaine alimentaire marine mais il produit aussi une grande partie de l'oxygène que nous respirons et joue un rôle essentiel dans le cycle du carbone.
"Ce que nous constatons principalement c'est le réchauffement" climatique avec des conséquences potentiellement importantes pour la vie marine et les humains, explique Clare Ostle, coordinatrice du programme CPR pour le Pacifique.
Alors que les courants marins se modifient et que les zones de répartition de la vie marine se transforment, les échantillons récupérés par le CPR ont montré une nette évolution du plancton ces dernières décennies.
Des planctons vivant dans des eaux plus chaudes remplacent ceux des eaux froides, avec souvent des cycles saisonniers différents, obligeant les espèces qui s'en nourrissent à s'adapter ou à partir.
"La grande inquiétude c'est quand le changement se fait si rapidement que l'écosystème ne peut s'en remettre", explique Clare Oster.
Les hausses de température des océans peuvent entraîner "l'effondrement de pêcheries entières", dit-elle alors que près de la moitié de l'humanité dépend des poissons pour leurs apports en protéines.
Écosystème sous tension
Le plancton rassemble les espèces aquatiques entraînées par le courant, animales comme des méduses pour le zooplancton et végétales comme les algues pour le phytoplancton, ainsi que des bactéries et des virus.
Grâce au processus de photosynthèse, qui utilise les rayons solaires pour transformer le dioxyde de carbone (CO2), le phytoplancton permet aux océans de produire environ la moitié de l'oxygène sur Terre, estiment les scientifiques.
Il permet aussi de stocker au moins un quart du CO2 émis par les énergies fossiles brûlées par les humains. Le phytoplancton est consommé par le zooplancton, lui-même avalé par des prédateurs, des oiseaux aux baleines. Quand le phytoplanction et ses prédateurs meurent et coulent au fond des mers, ils emportent avec eux le carbone qu'ils ont stocké. C'est la "pompe à carbone biologique".
Une chercheuse analyse au microscope un échantillon de plancton à l'association de biologie marine de Plymouth, au Royaume-Uni. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Mais les chercheurs avertissent que le changement climatique met sous tension l'écosystème : avec l'augmentation de la température des océans, moins de nutriments venus du fond remontent à la surface et le niveau d'acidification des eaux augmente.
Le réchauffement "expose les écosystèmes océaniques et côtiers à des conditions sans précédent depuis des siècles et des millénaires, avec des conséquences pour les plantes et les animaux vivants dans les océans à travers le monde", écrivent les experts de l'ONU sur le climat, le Giec, dans un projet de rapport qui sera publié en 2022.
Ils mettent en garde contre des "impacts grandissants sur la vie marine" et estiment que la détérioration des conditions océaniques entraînera au court du siècle un déclin du phytoplancton.
La biomasse moyenne totale du phytoplancton -qui se mesure en poids ou en quantité- devrait chuter de 1,8 à 6% en fonction du niveau d'émissions.
Même une réduction modeste peut affecter la chaine alimentaire et entraîner potentiellement une réduction de 5 à 17% de la vie marine.
Cela pourrait modifier le cycle de séquestration du carbone, dit la scientifique Abigail McQuatters-Gollop de l'université de Plymouth.
"Blooms"
Une pêche durable, une réduction des polluants, notamment agricoles, et une diminution des émissions de CO2 font partie de la solution.
Un membre d'équipage récupère un appareil qui recueille du plancton en continu, au large de Plymouth, au Royaume-Uni, le 26 août. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Jusqu'à présent, la protection de l'environnement s'est concentrée sur "des créatures grandes, mignonnes ou à valeur monétaire immédiate", comme les baleines, les tortues ou la morue, relève McQuatters-Gollop.
Mais tout dépend du plancton, minuscule et pourtant visible depuis l'espace lors de ces efflorescences, aussi appelées "blooms", qui donnent à la mer cette couleur émeraude ou bleu électrique.
Comme les plantes terrestres, le phytoplancton a besoin de nitrates, de phosphates et de fer pour grandir.
Mais un excès de nutriments peut conduire à des catastrophes environnementales, comme l'été dernier en Turquie quand les côtes ont été envahies par de la "morve de mer". Un phénomène qui peut empoisonner ou bloquer la lumière du soleil privant la flore et la faune sous-marines d'oxygène.
Parallèlement, une étude publiée par la revue scientifique Nature a conclu que le fer transporté par la fumée à la suite des incendies en Australie en 2019 et 2020 avait déclenché une efflorescence géante de planctons à des kilomètres de là, qui pourrait avoir aspiré un partie conséquente de CO2...
Les "blooms" peuvent aussi être nourris par des nutriments véhiculés à la faveur de tempêtes de sables ou d'éruptions volcaniques.
Phénomène naturel
Ce phénomène naturel a inspiré David King, fondateur du Centre for Climate Repair à Cambridge, qui veut fertiliser les efflorescences planctoniques en dispersant du fer à la surface de l'eau.
En théorie, cela devrait permettre de stocker plus de CO2 et aussi d'augmenter la vie sous-marine, jusqu'aux populations de baleines décimées par la chasse.
Plus de baleines signifie davantage de leurs fèces, riches en nutriments utiles au plancton. David King, qui doit tester cette technique dans la mer d'Oman dans un espace clôturé, espère ainsi rétablir "une économie circulaire vertueuse" même si le procédé fait débat.
Il aura fallu attendre les années 1980 pour que les chercheurs nomment la bactérie planctonique prochlorococcus, principale source de photosynthèse au monde.
Ils ont pu voir que certains vagabondent, que d'autres vivent en communauté.
Quand des planctons quittent les coraux en raison du réchauffement, ces derniers se décolorent. Quand d'autres s'associent aux algues, ils les transforment en générateurs d'énergie, relève Johan Decelle chercheur au CNRS et à l'Université de Grenoble.
Les scientifiques les ont utilisés pour suivre les changements climatiques ou reconnaître la présence de plastique dans les mers. Beaucoup reste encore à apprendre.
"C'est une galaxie entière qu'il y a là-dessous", relève Clare Ostle depuis le bateau au large de Plymouth, où les eaux semblent calmes sous les rayons du soleil mais où chaque goutte grouille de vie.
AFP/VNA/CVN