L’intelligence est plus importante que la puissance. |
Photo : CTV/CVN |
Le buffle est un animal qu’il est difficile de ne pas croiser lors de promenades dans les campagnes vietnamiennes. Bête énorme et d’apparence placide, il partage encore la vie quotidienne du paysan. Symbole de courage, de bonheur et de prospérité, belle destinée pour cet animal de bât qui aurait pu rester, misérable serf à quatre pattes, à marcher tête courbée dans les rizières boueuses.
Le tigre est aussi un animal connu au Vietnam, mais pour des raisons moins sympathiques. Prédateur redoutable, il a longtemps terrorisé hameaux et villages. Aujourd’hui, peu de risques de tomber nez à nez avec lui lors d’escapades forestières. Il a perdu sa liberté et sa puissance pour devenir bête de curiosité de zoo. Mais il faut savoir que jadis, tigre et buffle n’étaient pas tout à fait pareils à ceux que l’on peut voir aujourd’hui. Quelques particularités qu’une ancienne légende vient nous révéler. Installez-vous et ouvrez vos oreilles pour apprendre ce qu’il advient à ces deux animaux, il y a fort longtemps !
Dans le nez
En ce temps-là, l’homme menait le buffle aux champs en le tirant par une corde attachée simplement à ses grandes cornes. Cette tâche n’était pas toujours facile car l’animal avait du caractère et allait souvent où il voulait. Même musclé par les travaux des champs, l’homme n’avait pas la force de contraire l’immense puissance du buffle et, finalement, on se demandait si ce n’était pas le buffle qui menait l’homme plutôt que l’inverse ! Un jour, un paysan eut l’idée de passer un anneau dans ses naseaux et d’y nouer la corde.
De ce jour, l’animal cessa de tirer sur la corde pour aller ailleurs que le décidait l’homme, car la douleur était trop cuisante. Depuis, le buffle a suivi docilement l’homme et l’a aidé dans de nombreux travaux agricoles. Et il obéissait tellement facilement que l’on confia même sa garde aux enfants. Ce jour-là, après une matinée de labeur, un paysan laissa son buffle paître tranquillement à la lisière de la forêt. Tandis qu’il s’accroupissait à l’ombre d’un arbre pour se reposer, il regardait d’un œil distrait son énorme compagnon avaler goulûment d’énormes touffes d’herbe. Soudain, survint un tigre.
En ce temps, l’animal tout d’orange vêtu n’avait pas de rayures noires sur son magnifique pelage. Affamé, il n’aurait bien fait qu’une bouchée de ce paysan, un peu maigre sans doute, mais quand le tigre a faim, il se contente de peu. Sauf qu’entre lui et sa proie, il y avait un obstacle de taille : le buffle ! Mais, le plus surprenant pour le féroce animal, c’était l’obéissance du puissant buffle, que lui-même craignait, envers le paysan.
Sur la peau
Le buffle, un animal omniprésent dans la campagne vietnamienne. |
Ravalant sa faim, le tigre s’approcha prudemment du buffle et lui demanda : "Pourquoi obéis-tu à ce frêle humain, toi dont la force égale la mienne ?". Le buffle lui répondit : "Physiquement, le petit homme est faible, mais son intelligence est plus puissante que nos cornes et nos griffes !". Étonné, le tigre s’adressa alors au garçon : "Dis-moi, petit homme, où est donc cette +intelligence+ qui effraye tant le puissant buffle ?".
Bien qu’inquiet devant le terrible animal, le paysan lui répondit sans perdre son sang-froid : "Monsieur le tigre, je n’ai pas apporté mon intelligence avec moi aujourd’hui. Je l’ai laissé à la maison". "Alors, va la chercher que je puisse me faire ma propre idée à son sujet !", lui commanda le tigre. Peu enclin à laisser son buffle seul avec le tigre, le paysan répondit : "Mais tu vas profiter de mon absence pour dévorer mon buffle. Si tu acceptes que je t’attache, j’irai chercher mon intelligence pour te la montrer".
Le tigre hésita, car de mémoire de tigre ou de buffle ou d’homme, on n’avait jamais vu de tigre à l’attache. Sauf quand il était abattu au cours d’une chasse et suspendu par les pattes à un bambou. Mais, poussé par la curiosité, il accepta la proposition. Le paysan demanda alors au tigre de s’aplatir contre un solide tronc d’arbre. L’animal s’allongea puis l’homme prit ensuite une longue corde et le ligota solidement en faisant plusieurs tours autour de l’arbre. Ensuite, il mit des poignées de paille à l’entour du tigre et de l’arbre. Une fois qu’il eut fini, il alluma le feu, en s’exclamant : "Tiens, la voici mon intelligence, observe-là donc de près !"
Sous le feu, le tigre se tordait en tous sens pour tenter de casser les cordes. Mais, il était si solidement attaché que rien n’y pouvait. Quand l’animal parvint finalement à se dégager, sa peau fut profondément brûlée, à force de frottements contre les liens. Il s’enfuit dans la forêt sans demander son reste. C’est depuis ce jour-là que les tigres ont des rayures noires sur leur robe orange. Honteux de s’être fait prendre par plus petit et plus faible que lui. À cette vue, le buffle, qui assistait à la scène, fut pris d’un fou rire. Il riait tellement en secouant si fortement sa lourde tête qu’il cogna sa mâchoire par terre à s’en casser les dents. Ce qui se passa, et c’est depuis ce jour que les buffles n’ont plus de dents à leur mâchoire supérieure.
Quant au paysan, l’histoire ne dit pas ce qu’il devint, mais je suis certain qu’il a pu continuer longtemps à mener son imposant buffle là où bon lui semblait, sans aucune crainte du tigre qui n’aurait jamais voulu croiser son chemin.
Ông Ngoai/CVN