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On ne connaîtra pas sa date de naissance, il refuse toute photo de lui ou caméra, repousse le dictaphone avec une extrême mais ferme courtoisie : même si, depuis quelques années maintenant, son vrai nom est identifié, contrairement à ceux de l'artistes Banksy ou de l'écrivain Elena Ferrante, Henri Barande tient à cultiver le secret.
"Mon intention a toujours été de rester inconnu, à l'écart", explique le sculpteur-peintre, blouson en cuir noir et lunettes fumées, dans un entretien devant ses tableaux accrochés à la prestigieuse Saatchi Gallery.
Un tableau sans-titre de l'artiste français Henri Barande à la Saatchi Gallery de Londres, le 3 octobre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Pendant un demi-siècle, l'artiste français, né à Casablanca et résident suisse, a œuvré dans une confidentialité absolue. Créant des dizaines de milliers de sculptures, qu'il a détruites ou enterrées pour la plupart. Avant de se lancer dans la peinture pour une série de tableaux qui mesurent tous la même hauteur (2,15 m) mais dont le largueur varie en fonction des thèmes et des matériaux utilisés.
"Lorsque je l'ai rencontré il y a 17 ans, il avait déjà réalisé plus de 40.000 sculptures mais il était totalement inconnu", se félicite le critique David Galloway qui dit avoir eu le "grand honneur" de découvrir en avant-première la "caverne d'Ali Baba" d'Henri Barande, nichée "dans une zone industrielle de Lausanne".
"J'ai découvert ce jour-là l'œuvre la plus excitante qui m'ait probablement jamais été donnée de voir. Mais il m'a fallu encore un an pour le convaincre de me laisser écrire un article sur lui dans le New York Times et dans Artnews", vante Galloway, commissaire de l'exposition londonienne.
Malgré des propositions du monde entier, seulement trois expositions vont suivre, à Zurich, puis à Genève en 2008 qu'Henri Barande signe pour la première fois de son vrai nom. "Je l'ai vécu comme une contrainte", affirme-t-il. Et à Paris en 2011.
Dans les ruines de Carthage
Depuis on sait qu'il fait partie des 200 plus grandes fortunes françaises après avoir vendu sa société de travail temporaire. Et qu'il a grandi en Tunisie, "dans une maison située juste à côté" des ruines de l'ancienne cité punique de Carthage, dont l'empreinte traverse tout son art.
L'œuvre d'Henri Barande est aussi pléthorique que diverse. À la Saatchi Gallery, on croise ses œuvres inspirées par Gustave Klimt, par des peintures rupestres. On voit aussi des représentations de crânes, dont un vert fluorescent sur fond clair, ou encore un portrait du basketteur Michael Jordan.
Tous ses tableaux sont juxtaposés "dans une ligne continuelle et intemporelle". Certains, pourtant voisins, ont été réalisés à quinze ans d'écart.
Le hasard est important. Le passé, l'enfoui, encore plus. "Je suis en rupture même avec la postérité", dit-il. "L'idée au départ est soit de détruire, soit d'enterrer" toute son œuvre dans un lieu connu de lui seul pour qu'on la "découvre, peut-être, dans plusieurs milliers d'années", comme une ancienne civilisation.
Reclus en artiste ermite dans son atelier suisse, Henri Barande n'attend "rien" de ses contemporains et n'éprouve aucun besoin de reconnaissance. "Je ne me reconnais pas moi-même", lance-t-il.
Pour autant, il ne regrette pas la "rupture" qu'a constitué pour lui son "coming out". "À un moment vous êtes obligé de vous ouvrir au monde extérieur. Je suis heureux que ça se passe comme ça et heureux que ça rende les gens autour de moi heureux".
Après la Saatchi Gallery, première et dernière exposition Henri Barande au Royaume-Uni (du 4 au 31 octobre), il faudra donc attendre de nouveaux "quatre ou cinq ans" pour le revoir dans un autre pays, toujours aussi mystérieux. "Cela ne sert à rien d'essayer de comprendre le mystère. Le mystère, il doit rester secret".