Le manuel de langue vietnamienne des années 1920

Le Quôc Van giáo khoa thu a longtemps été considéré comme le premier manuel scolaire de langue vietnamienne. Cette collection de trois livres pour enfants de 7 à 9 ans a été rédigée sur commande de la Direction de l’instruction publique de l’Indochine française.

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"Quôc Van giáo khoa thu", ancien manuel scolaire de langue vietnamienne.
Photo : Archives/CVN

L’enfant vit dans le présent, l’adulte dans le futur et le vieillard dans le passé. Cette remarque est-elle d’une portée universelle ?

Pour ma part, je ne peux qu’apporter un témoignage fort limité, les vieilles gens que je connais aiment évoquer le passé, passé souvent voilé de poésie.

J’ai eu l’occasion, à ce propos, d’interroger plus d’un compatriote ayant dépassé le cap de la soixantaine (y compris ceux vivant à l’étranger) qui avaient fréquenté les classes élémentaires franco-indigènes avant la Révolution de 1945. Vous rappelez-vous le Quôc Van giáo khoa thu ? (Manuel de langue vietnamienne). "Bien sûr que oui !", ont-ils tous répondu avec un brin de nostalgie.

Une certaine douceur mélancolique

Beaucoup ont cité des phrases inoubliables de la collection des trois livres pour enfants de 7 à 9 ans, telles que "Qui ose dire que garder un buffle est une corvée ?", "Le village natal est l’endroit le plus beau du monde", "Ô combien triste est la séparation !"… Et certains de répéter par cœur des textes entiers.

Comment expliquer cet attachement de la génération des résistants anti-français à un petit ouvrage didactique publié par l’administration française pour édifier les indigènes sur les bienfaits de la colonisation ?

Il y a d’abord des raisons psychologiques. À l’exception des cas tragiques, les souvenirs du passé en général et de l’enfance en particulier reviennent toujours à la mémoire avec une certaine douceur mélancolique.

De plus, il faut compter avec le mélange ambigu de colonialisme et d’acculturation.

Évidemment, le Quôc Van giáo khoa thu, rédigé sur commande de la Direction de l’instruction publique de l’Indochine française, s’inscrit dans le cadre d’un enseignement plus ou moins obscurantiste, destiné à exalter la mission civilisatrice de l’homme blanc, concrètement à chanter les réalisations de la France au Vietnam.

"Maintenant partout règnent la paix et la tranquillité, chacun vaque à cœur joie à ses travaux : s’il en est ainsi, c’est grâce au Protectorat français". On encense tel ou tel gouverneur général "qui ne voulait qu’une chose : rendre le peuple vietnamien heureux". De la même veine apologétique, on peut relever des textes tels que Hanoï, capitale d’aujourd’hui, La voie ferrée transindochinoise, L’hydraulique agricole, L’Institut Pasteur, etc.

Certes, il y a du vrai dans tout cela, mais on a omis tout simplement de parler de l’objectif. Ultime de toutes ces réalisations qui était de servir à une exploitation coloniale optimale, on a oublié d’évoquer les cruautés sans nom de l’oppression, la manière barbare de juguler tout mouvement patriotique et les mesures humiliantes d’apartheid. Heureusement, le pourcentage de textes chantant le colonialisme est assez restreint. D’ailleurs, tout petit que nous étions, inspirés par un patriotisme secret, nous ne les prenions pas au sérieux, les qualifiant dans notre for intérieur de "viles flagorneries".

Un exemple positif d’acculturation

Ce côté négatif mis à part, le Quôc Van giáo khoa thu peut être considéré comme un exemple positif d’acculturation entre l’Orient (Vietnam) et l’Occident (France), acculturation dont l’effet et les manipulations vont même à l’encontre des calculs des colonisateurs. À travers les textes de moins de 200 mots, transparaît l’intention d’assimiler la culture moderne tout en préservant les traditions nationales. C’est le mérite des auteurs parmi lesquels des érudits tels que Trân Trong Kim et Nguyên Van Ngoc.

D’abord, c’est la modernisation du style. Au lieu de la phrase alambiquée et compliquée des textes classiques chinois de l’enseignement d’autrefois, c’est l’expression simple, claire, directe, à la française.

Le contenu de l’enseignement n’est plus exclusivement littéraire et moral. Les enfants acquièrent des connaissances usuelles et exercent leur esprit d’analyse avec des textes tels que Les nuages et la pluie, L’abeille, La rage, Les étoiles, La peau, La conjonctivite, etc.

Les textes abordant l’histoire nationale rappellent les invasions chinoises, sans doute pour montrer que ces envahisseurs célestes (pirates chinois du Tonkin, etc.) constituaient le fléau héréditaire dont les vaillants Français ont débarrassé les Vietnamiens. Ainsi, les censeurs français ont laissé subsister beaucoup de textes exaltant la lutte acharnée des Vietnamiens contre la domination chinoise (Les sœurs Trung, Ngô Quyên, Trân Hung Dao, Lê Loi).

Faux calcul, ces textes entretenaient le sentiment patriotique contre tous les agresseurs, y compris les Français. Mais les pages les plus émouvantes, celles qui ont laissé des empreintes indélébiles dans la mémoire des enfants, futurs maquisards, ce sont celles qui dépeignent la campagne avec ses rizières, ses banians, ses aigrettes blanches, ses gardiens de buffle, le village avec sa haie de bambous, sa pagode, sa maison communale, les travaux et les jours.

D’autres enseignent une morale patriarcale, la satisfaction du devoir accompli, l’entraide et la charité… En somme, c’est l’âme du Vietnam traditionnel qui vit dans ces textes pour enfants dont les personnes âgées se délectent encore.

Huu Ngoc/CVN
(Septembre 2008)

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