>>Ce que dit le village des Pamplemousses
Temple dédié au lettré confucéen démocrate Phan Châu Trinh à Hô Chi Minh-Ville. |
Photo : Archives/CVN |
Plus d’une ville du Vietnam possède une rue ou même une école portant le nom de Phan Châu Trinh (appelé Phan Chu Trinh au Nord). Qui est cet homme dont les funérailles en 1926, au temps de la colonisation française, ont déchaîné une vague de manifestations patriotiques suivie de dures répressions dans tout le pays ?
Pour le connaître, plaçons-le dans le contexte historique et social de son époque. Le traité de 1884 avait consacré la mainmise de la France sur tout le Vietnam. Les insurrections menées par les lettrés confucéens sous le drapeau du Cân Vuong (Servir le Roi) avaient pris fin au tournant du siècle. Comment libérer le pays du joug colonial ?
Deux tendances s’étaient dessinées, la lutte armée et la lutte pacifique par les moyens légaux.
Phan Châu Trinh est le leader de la seconde. Originaire de Quang Nam (Centre), il est l’enfant d’un petit mandarin militaire et d’une mère lettrée qui l’initie à la culture classique. Reçu Docteur ès humanités du Second Tableau (Phó bảng), il est nommé mandarin au ministère des Rites (1903). Deux ans après, sous l’influence des auteurs progressistes chinois et de certains penseurs français du XVIIIe siècle, dont Montesquieu et Rousseau, lus dans les traductions chinoises, il abandonne le mandarinat.
Mobilisation des élites intellectuelles
À la recherche d’une voie pour le salut national, il parcourt le pays pendant cinq ans pour contacter les lettrés patriotes. Il rend visite au chef de la guérilla Hoàng Hoa Thám (1836-1913) dans le maquis du Yên Thê et part en Chine et au Japon rencontrer Phan Bôi Châu, partisan de la lutte armée, avec qui il discute longuement sans pouvoir trouver de points d’accord.
Timbre à l’effigie du lettré confucéen démocrate Phan Châu Trinh. |
Photo : Archives/CVN |
Phan Châu Trinh ne croit ni à la violence armée, ni à l’aide désintéressée des autres pays d’Asie, y compris le Japon.
Il représente les tendances réformatrices d’une bourgeoisie naissante. En vue de la reconquête de l’indépendance nationale, il préconise l’abolition de la royauté et du mandarinat, la réalisation des libertés démocratiques, l’élévation du niveau culturel du peuple par la rénovation de l’enseignement, le développement de l’industrie et du commerce. Il pense assez naïvement qu’il est possible d’exploiter les promesses de l’administration coloniale quant à sa "mission civilisatrice" pour la pousser à agir dans ce sens.
En 1906, il adresse une lettre au Gouverneur général d’Indochine pour dénoncer la pourriture du mandarinat. Il y écrit en particulier :
"Depuis une vingtaine d’années, les grands dignitaires de la Cour se complaisent dans le luxe et ne jettent plus qu’un regard distrait sur les affaires publiques. Les mandarins de province ne songent qu’à consolider leur position et pressurer les campagnes. Les lettrés rivalisent de servilité et de flagornerie au prix de leur dignité. Le peuple a été saigné à blanc et peut à peine survivre. Aujourd’hui tout va à vau-l’eau, le peuple est désuni, les mœurs se relâchent et la morale est battue en brèche. Un peuple de vingt millions d’âmes est presque ramené à l’âge de la barbarie.
Des intellectuels, devant ce désastre national, s’inquiètent de l’avenir de notre race. Ils ont voulu sonner le réveil de la conscience nationale et cherchent ensemble une voie de salut. Mais hélas, les plus courageux, réfugiés à l’étranger, se contentent de gémir au fond de leur cœur sans oser risquer le retour. Les autres, plus pusillanimes, se terrent à la campagne, ferment les yeux et les oreilles et n’osent plus discuter de ces questions. Il ne s’est trouvé personne pour venir frapper à la porte d’un fonctionnaire du Protectorat (français), lui parler franchement et lui exposer sans détour le comportement cruel des mandarins vietnamiens, les malheurs que subit le peuple, de manière à ouvrir les yeux des représentants de la France sur les crimes de ces derniers et les souffrances qu’ils infligent à notre peuple…".
École Ðông Kinh Nghia Thuc
En 1907, Phan Châu Trinh encourage la population de sa province à ouvrir des écoles puis donne des cours à une grande école privée dirigée par des lettrés réformateurs (le Ðông Kinh Nghia Thuc ou l’École libre de la Capitale de l’Est). La grève des impôts suscite dans le Centre du Vietnam, en 1908, un vaste mouvement de répression. Phan Châu Trinh est exilé à Poulo Condore.
Libéré en 1910 grâce à l’intervention de la Ligue des droits de l’homme, il accepte l’exil à Paris espérant s’appuyer sur des politiciens plus ou moins libéraux pour faire appliquer des réformes. Mais ses efforts s’avèrent infructueux. En 1922, quand le roi Khai Ðinh (1855-1925) se rend en France, il lui écrit une lettre où il lui reproche ouvertement son incapacité, ses vices et sa trahison envers la nation.
En 1925, il rentre à Saïgon (aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville) où il donne quelques conférences sur des questions politiques et sociales, conférences qui ont un grand écho parmi les intellectuels et la jeunesse. Il succombe à une grave maladie à l’âge de 54 ans.
(Novembre 1999)