>>La chique de bétel, offrande cultuelle et gage d’amour conjugal
Le laquage des dents est une tradition millénaire au Vietnam. |
Photo : CTV/CVN |
Dans l’ancienne société vietnamienne, les hommes et les femmes se laquaient les dents en noir. Cela faisait partie du canon de la beauté féminine comme l’attestent de nombreuses chansons populaires :
- "Je vous aime premièrement pour vos cheveux qui pendent en queue de coq.
Deuxièmement pour vos paroles pleines de vie et de charme.
Troisièmement pour vos joues ornées de fossettes rondes comme des sapèques.
Quatrièmement pour vos dents laquées dont l’éclat dépasse de loin les perles de jais…
- Je rentre, je me rappelle le sourire de vos dents, Je payerai bien cinq ligatures de sapèques pour cette bouche souriante. Je ne regretterai même pas dix ligatures. C’est la demoiselle aux dents laquées que je regrette".
Laquage des dents au Vietnam…
Une enquête effectuée par Phan Hai Linh (Université nationale de Hanoï) en 1996 dans un hameau du village Bach Coc (province de Hà Nam, Nord) montre que sur une population de 546 personnes, seulement 11 (10 femmes et 1 homme) du groupe d’âge 60-70 ans avaient encore les dents laquées. C’est-à-dire 2% de la population. On peut dire que pratiquement, dans tout le Vietnam, les moins de 60 ans n’ont pas les dents laquées.
Dans son fameux ouvrage Mœurs et coutumes du Vietnam publié en 1915, le lettré Phan Kê Bính a noté : "La coutume des dents laquées dure depuis longtemps. Que les hommes aient des dents blanches, cela peut passer. Mais que les femmes de bonne famille aient des dents blanches, cela paraît un peu étrange !". Cette remarque remonte à la deuxième décennie du XXe siècle.
La tradition de laquage des dents est liée aux critères de beauté chez les hommes et femmes. |
Photo : CTV/CVN |
Sous l’effet de l’occidentalisation apportée en particulier par la colonisation française, beaucoup d’hommes ont enlevé la laque de leurs dents ou n’ont plus laqué leurs dents tandis que la majorité des femmes demeuraient fidèles à la tradition. Il fut un temps où les dents blanches étaient comparées "aux dents des morts exhumés pour l’enterrement définitif" (rang cai ma).
Selon Huard et Bigot, vers 1938, environ 80% des paysans vietnamiens avaient encore des dents laquées ; dans les années 1930 et 1940, dans les régions urbaines, les hommes avaient renoncé aux dents noires tandis que les femmes avaient maintenu la coutume.
… et en Asie
Loin d’être exclusivement vietnamien, le laquage des dents est une pratique courante dans bon nombre de pays d’Asie, chez certaines tribus africaines et groupes ethniques de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. En particulier en Asie, son aire d’extension couvre au Sud la Malaisie et l’Indonésie, à l’Est le Sud de la Chine et atteint au Nord le Japon. On pense qu’elle a été introduite au Japon à partir du Sud et que l’aire du laquage des dents coïncide avec celle de l’usage du bétel, exception faite du Japon et de quelques pays qui n’ont pas de bétel.
Le noircissement des dents est une coutume ancienne répandue en Asie, dont au Japon. |
Selon le chercheur japonais T. Masao, la chique de bétel employée depuis très longtemps dans le Sud de l’Asie comme stupéfiant au même titre que l’opium donnait aux dents une couleur brun-rougeâtre. Seules les couches supérieures de la société avaient le moyen de chiquer le bétel. La couleur des dents était donc signe de distinction sociale.
Serait-ce là origine du laquage des dents ? La question demeure controversée. Quoi qu’il en soit, cette coutume est motivée par plusieurs raisons: conception esthétique (par exemple, dans l’ancien Japon, une jeune fille devait réunir trois couleurs : le blanc du teint, le rouge des lèvres, le noir des dents), signe distinctif de classe (classe supérieure) ou d’ethnie (par exemple, les anciens Vietnamiens se faisaient un point d’honneur de laquer leurs dents en noir pour se distinguer des Chinois), mesure hygiénique (préserver les dents contre les caries).
(Novembre 1998)