Le Génie du riz

Nombreuses sont les images du Vietnam où figurent de magnifiques rizières vertes s’étendant à l’infini. Il faut dire que le riz est la nourriture de base du Vietnamien. De quoi en faire toute une histoire.

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Un génie qui se cache dans la robe verte des rizières.
Photo : GB/CVN

La vie rurale au Vietnam est toujours rythmée par la culture du riz. Les semailles en pépinières où poussent des épis serrés les uns contre les autres et qui donnent l’impression de petits gazons répartis le long des villages. Le repiquage où penchés sur la terre meuble, les paysans disposent les épis en longues lignes régulières. Le temps de la croissance, quand durant plusieurs semaines, les rizières se parent de robes d’un vert changeant. La récolte du riz mûr, quand l’épi jaunit. Les gerbes qui s’entassent, les grains que l’on trie de la paille. Les chaumes que l’on brûle, et les nouveaux labours pour préparer la prochaine culture…

En vietnamien, il existe des mots différents pour nommer le riz : lúa quand il est en épi dans la rizière, gạo quand il est en grain prêt à être cuisiné, cơm quand il est cuit et entre dans le bol ou dans l’assiette. Un petit grain qui commence par une belle légende.

Un don du Ciel

Jadis, les hommes n’avaient pour se nourrir que des racines et des fruits sauvages. La faim et la misère régnaient partout, d’autant que le nombre des habitants de la Terre ne cessait de croître et qu’il n’y avait plus, depuis longtemps, assez à manger pour tout le monde. Quand une année de sécheresse s’ajoutait à cela, la situation devenait dramatique.

En ce temps-là, dans un village, vivait un jeune couple. L’homme voyait avec son anxiété son épouse bien-aimée devenir chaque jour plus pâle et plus faible. "Nous ne pouvons attendre de mourir de faim sans rien faire", finit-il par déclarer : "Partons d’ici. Peut-être, trouverons-nous ailleurs dans le monde de quoi nous nourrir". Ils errèrent longtemps, jusqu’au jour où, trop épuisés pour continuer, ils durent s’arrêter.

"Notre dernière heure est arrivée, j’en suis sûre", gémit la jeune femme éplorée en posant sa tête sur l’épaule de son mari. Au même instant, à quelques pas d’eux, une nuée d’oiseaux se posa sur le sol et se mit à picorer certains grains jaunes qui se trouvaient à cet endroit. La jeune femme eu une idée : "Nous devrions peut-être essayer de manger ces grains, nous aussi ? Puisqu’ils conviennent aux oiseaux, ils ne peuvent pas nous faire de mal. Et s’ils étaient empoisonnés, nos tourments prendraient fin plus vite".

Ils cueillirent quelques tiges sauvages et mangèrent les gros grains dorés. C’était du riz. Jamais encore, ils n’avaient goûté quelque chose d’aussi savoureux, ni d’aussi nourrissant. En un clin d’œil, leurs joues affaissées retrouvèrent leur rondeur, et ils se sentirent tous deux beaucoup plus forts et plus vigoureux qu’auparavant. Alors, ils rentrèrent chez eux, apportant aux autres hommes ces grains merveilleux. Ils les semèrent, et bientôt la famine disparut sur Terre.

En ce temps-là aussi, les grains de riz jaune étaient bien plus gros qu’aujourd’hui. Il s’agissait en effet d’un présent des Dieux, qui avaient eu pitié des hommes dans la misère. Et ce riz prodigieux, ne donnait pour ainsi dire point de peine aux gens : il suffisait de le semer et de tenir la maison propre. Après quoi, le riz rentrait tout seul des champs jusqu’à chez eux, à condition qu’on ait tendu une corde jusqu’à la paillote pour lui permettre de trouver son chemin.

Un génie capricieux

Mais, il advint une fois qu’une femme paresseuse, qui n’avait pas fini de balayer sa maison à temps, reçu très mal le riz qui rentrait des champs. Elle se tenait encore sur le seuil, son balai à la main, quand elle le vit arriver. Furieuse, elle lui cria : "Qu’est-ce que tu fais là ? Veux-tu bien attendre que j’aie terminé !". Le riz poursuivit tranquillement son chemin. Alors, la femme lui asséna un coup de balai. Elle n’aurait jamais dû faire une chose pareille. À l’instant où le balai sale toucha les grains immaculés, ceux-ci de honte, explosèrent en milliers morceaux minuscules. Trop tard pour regretter !

À dater de ce jour, les hommes attendirent en vain que le riz rentre chez eux de lui-même. Ils durent le cultiver et le soigner de leurs propres mains, l’abreuver d’eau et de la sueur de leur front. Mais même ainsi, ils ne récoltèrent plus que des grains minuscules. Si la pluie se faisait rare, les petites plantes se fanaient et la faim, de nouveau, s’abattait sur les hommes. Une fois encore, l’Empereur du Ciel eut pitié de ces malheureux et leur envoya le Génie du riz, le vieux Lúa. Il apprit aux paysans à semer, à repiquer les jeunes pousses tendres, à aménager des rizières avec des canaux d’irrigation et des diguettes. Il se montrait bon et patient.

Des rizières en terrasses dans la région Nord-Ouest sont prêtes à la récolte.
Photo : Linh Thao/CVN

Toutefois, en raison de son âge, il lui arrivait aussi d’avoir des lubies. En temps normal, il parcourait les champs de l’aube au crépuscule et veillait à ce que tout soit en ordre. Quand les hommes apercevaient le petit vieux en guenilles qui arpentait les rizières, en souriant et en marmonnant dans sa barbe, ils se chuchotaient les uns aux autres : "La récolte sera bonne, il y aura du riz pour tous, puisque Lúa garde nos champs". Mais quel malheur quand le vieillard se mettait à faire des siennes ! Il paradait dans tout le pays, fanfaronnait, chantait à tue-tête et titubait sur ses jambes parce qu’il avait trop bu d’alcool de riz. C’était toujours fort mauvais signe.

Les paysans hochaient tristement la tête et murmuraient soucieux : "Lúa n’a de nouveau que des bêtises dans la tête, il se moque bien de nos champs !". Ils s’empressaient alors autour de lui pour essayer de lui plaire, et lui portaient des offrandes dans l’espoir de retrouver ses faveurs. La plupart du temps, Lúa se laissait fléchir ; paix et tranquillité régnaient de nouveau dans le cœur des hommes.

N’importe qui encore aujourd’hui, peut apercevoir Lúa en traversant les rizières prospères. Pas sous la forme d’un vieillard d’antan, non, mais sous celle des jeunes pousses vertes qui portent désormais son nom.


Ông Ngoai/CVN

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