Sylvio est l'heureux propriétaire du Jungle Beach Resort, un éco-resort niché au pied de la montagne Hon Heo, à 60 km au nord de Nha Trang. "C'est moi principalement qui gère le resort. Mon mari part tous les jours en forêt pour, comme il dit, essayer de +saisir des instants d'éternité+", avoue Dinh Thi Loan, sa femme vietnamienne. Un lieu idéal pour les routards, qui dispose de 9 bungalows spartiates en bord de mer. Pas d'eau chaude ni de piscine, mais des paysages fantastiques, une plage de sable blanc déserte, une nourriture excellente et la gentillesse de ce sympathique couple vietnamo-canadien et du staff.
"J'ai été ensorcelé par le Vietnam dès ma première visite, exactement au printemps 1994", explique dans un assez bon vietnamien ce Canadien costaud au teint hâlé qui ressemble plus à un coureur de bois qu'à un homme d'affaires. Cette année-là, débarquant à Khanh Hoa comme simple touriste, le jeune Occidental est envoûté par la "splendeur indescriptible" des paysages et l'"hospitalité" des gens du coin. Il se promet alors de revenir tous les ans à l'occasion du Têt pour explorer les montagnes, notamment la forêt primitive de Hon Heo, un morceau de nature encore vierge baigné par l'océan.
Lune de miel à la Robinson Crusoé
Lorsqu'il met les pieds pour la première fois à Hon Heo, Sylvio découvre "un petit paradis idéal pour l'écotourisme". Il la parcoure en tous sens, en barque le long de la côte et à pied à l'intérieur des terres. Il fixe sur la pellicule les animaux sauvages qu'il rencontre. Après 3 aller-retour Vietnam-Canada, il décide de s'installer à Nha Trang. Une décision "judicieuse", selon lui, car peu de temps après il trouve celle qui deviendra sa femme un an plus tard.
Après un mariage célébré à la vietnamienne, ses beaux-parents tombent des nues lorsque leur gendre leur explique son projet d'avenir. Non seulement il n'a pas l'intention de s'installer à Nha Trang avec sa jeune épouse et encore moins de repartir avec elle au Canada, mais en plus il compte l'emmener vivre en pleine brousse, à Hon Heo, où la plupart des gens ne voient qu'"une terre battue par le vent, écrasée par la chaleur". Bref, rien de paradisiaque, à moins d'arriver le matin et de repartir le soir. Quant à y vivre…
Après avoir acquis un bout de terrain, les jeunes mariés, avec l'aide des rares habitants locaux, bâtissent leur premier nid d'amour,… une petite maison de 20 m² à toit de tôle. La demeure achevée, tandis que Loan s'occupe des papiers pour la création de la sarl Hoa Sen (lotus), Sylvio défriche et aménage plus d'un hectare.
Jungle Beach Resort a maintenant fière allure avec ses petits bungalows. Aujourd'hui, grâce à ce lieu de villégiature, Hon Heo est de plus en plus fréquenté par les amoureux de la nature, tant vietnamiens qu'étrangers.
Observation et protection
Tous les jours, le patron du Jungle Beach Resort travaille au jardin, plante fleurs et légumes… Mais ce qui le tient le plus à cœur, c'est protéger la forêt. Pour les habitants locaux, ce Tây (Occidental), qui part en patrouille comme un forestier professionnel mais qui ne touche aucun émolument, est un brin "déjanté". Afin qu'on le prenne plus au sérieux, le Canadien a déposé une demande auprès des services compétents pour revêtir l'uniforme des gardes forestiers. Demande rejetée bien sûr. Parfois, au cours de ses tournées d'inspection, il rencontre des chasseurs ayant capturé un loris, un putois ou un écureuil. Il rachète les prises et les relâche illico en forêt... Un jour, il est tombé sur des paysans en train de brûler une parcelle de forêt pour y cultiver du riz. Il a appelé les employés du Jungle Beach Resort à la rescousse pour éteindre le brasier… et faire barrage aux incendiaires.
Les doucs, stars locales
En 2002, ce Canadien vietnamisé découvre par hasard un groupe de singes qu'il a du mal à identifier. Il prend quelques photos et les envoie par email aux zoologistes du Parc national de Cuc Phuong (Nord). "J'ai été extrêmement heureux d'apprendre qu'il s'agissait de doucs à pattes noires, une espèce menacée d'extinction". Le Pygathrix nigripes, qui fait partie des 20 espèces de primates inscrites dans le Livre des espèces menacées au niveau mondial, ne vit qu'au Cambodge et dans certaines forêts du Vietnam. Animé par la "passion irrésistible" de rassembler le maximum de photos sur toute la faune de Hon Heo, Sylvio passe tous ses temps libres en forêt, appareil-photo en bandoulière et carnet de note en poche, fouillant canopée et arêtes rocheuses avec sa longue-vue.
Sylvio sert souvent de guide à des zoologistes du Centre de secours aux primates de Francfort ou du Parc national de Cuc Phuong. Selon lui, Hon Heo abriterait 17 groupes de doucs à pattes noires, soit environ 110 individus.
Depuis la découverte des doucs, l'éco-resort accueille de plus en plus de visiteurs. Des cinéastes de la Télévision allemande Bavarian Broadcasting, venus réaliser un reportage sur la vie et la protection des primates dans les Parcs nationaux de Cuc Phuong et de Phong Nha-Ke Bàng, ont débarqué à Hon Heo pour braquer leurs caméras sur les stars locales.
"Monsieur le Forestier occidental" nourrit un rêve qui pourrait bien devenir réalité : "J'espère qu'une réserve naturelle sera créée à Hon Heo. J'en serai alors le gardien bénévole". Et de confier : "J'aime le Vietnam, ses espaces naturels et ses êtres vivants. Certainement, je resterai à Hon Heo toute ma vie".
Nghia Dàn/CVN