"Je suis expert dans la datation des hommes préhistoriques. Lorsqu'une tombe antique est découverte, je me rends immédiatement sur les lieux". C'est ainsi que se présente l'anthropologue Nguyên Lân Cuong, 69 ans, dont la carte de visite est illustrée d'une image quelque peu singulière pour ce genre de document : un crâne.
Nguyên Lân Cuong est diplômé de la Faculté de biologie de l'Université de Hanoi. Son travail de fin d'études porte sur la méthode d'élevage des poissons mè (hypophthalmichtys). En 1964, l'Institut d'archéologie recrute le jeune scientifique qui connaît bien les vertébrés pour mener des études sur les ossements d'hommes préhistoriques.
Ses débuts dans le métier d'archéologue sont très difficiles. "J'ai dû m'instruire par moi-même, approfondir une science qui m'était jusque là étrangère", confie le chercheur. Ce n'est pas tout, le jeune archéologue a dû faire fi des nombreuses paroles déroutantes qui lui ont été adressées. "Plusieurs personnes, dont ma mère, me disaient qu'il s'agissait d'un travail immoral, car on profane les tombes des gens qui reposent en paix", se souvient-il. De plus, les outils de travail à l'époque se faisaient rares. "Il m'a fallu fabriquer des couteaux à partir des rayons d'une roue de bicyclette ou des brosses, faites d'éponges minces". Malgré tout, Nguyên Lân Cuong avance grâce à sa passion pour l'histoire.
En 1980, Nguyên Lân Cuong est le premier Vietnamien à être sélectionné pour suivre des études sur la restauration des crânes en Allemagne. Huit ans après, il poursuit ses études anthropologiques en Russie.
Momies de bonzes
Son bureau, situé dans l'enceinte de l'Institut national d'archéologie de Hanoi, abrite une centaine de crânes et d'ossements. "Je suis habitué à cohabiter avec les ossements, je n'en ai pas peur du tout", déclare-t-il.
Jusqu'à présent, l'anthropologue Nguyên Lân Cuong a étudié plus de 800 ossements.
Avant chaque fouille, le chercheur brûle toujours des baguettes d'encens et célèbre un office, "conformément aux coutumes des Vietnamiens", dit-il. "Ce pour exprimer mon respect vis-à-vis des morts et pour apporter de la sérénité à mon âme", explique-t-il. Et d'ajouter : "Je crois ainsi que personne ne me reproche ce que je fais".
Le plus grand bonheur pour cet anthropologue est de découvrir des tombes antiques intactes qui présentent des valeurs historiques significatives. "Quand je trouve des ossements anciens, c'est comme si l'on m'offrait un cadeau", raconte-t-il. Et de préciser : "Nous devons beaucoup à nos ancêtres. Si nous trouvons les traces des gens d'autrefois, mais que nous n'étudions pas soigneusement leurs valeurs historiques, nous commettrons une faute impardonnable".
Nguyên Lân Cuong est l'auteur de nombreuses études archéologiques dont Caractères anthropologiques de la population de la culture dôngsonienne au Vietnam, Groupes anthropologiques au Vietnam et origine des Vietnamiens, Études des squelettes sur les sites archéologiques et dans les laboratoires... En décembre dernier, il a rendu public son ouvrage intitulé Les secrets qui se cachent derrière les momies des bonzes, publié par la maison d'édition Thê gioi (Monde). Dans ce livre de 200 pages, illustré de 250 photos, l'auteur raconte des histoires, des expériences et des anecdotes de ses dizaines d'années d'études et de restauration des momies de 4 bonzes : Vu Khac Minh et Vu Khac Truong de la pagode Dâu (situé au district de Thuong Tin, Hanoi), Chuyêt Chuyêt de la pagode Phat Tich et Nhu Tri de la pagode Tiêu Son (province de Bac Ninh, Nord).
Les momies de bonzes sont "uniques au monde, existant seulement au Vietnam et en Chine où a été découverte la momie d'un bonze dans la province du Guangdong", indique l'anthropologue Nguyên Lân Cuong. D'après lui, les bonzes ont quitté ce monde en position de méditation. Leurs disciples ont procédé à la conservation du corps de leur maître à l'aide d'un mélange de terre meuble de termitière, de sciure de bois, de pâte de papier do (rhamnoneuron) et de sève laiteuse de l'arbre à laque (rhus succedca). La mixture était appliquée sur le corps du bonze pour en faire une couche épaisse destinée à conserver le corps du maître défunt.
Nguyên Lân Cuong a découvert que la technique de confection de ce fameux mélange était identique à celle de fabrication des sentences parallèles et panneaux horizontaux ornés d'idéogrammes qui décorent les temples, pagodes et maisons communales. Grâce à la découverte de cette recette, il a dirigé les travaux de restauration de ces précieuses momies.
Au cours de ces travaux, l'expert a pris des milliers de photos de chaque momie et tourné une dizaine de vidéocassettes. Ces documents, confiés au Département d'héritages culturels, serviront de fondements importants pour la future restauration des momies des bonzes mises à jour prochainement.
Issu d'une famille intellectuelle célèbre du pays, l'archéologue Nguyên Lân Cuong se double d'un professeur, d'un fan du ballon rond et surtout d'un compositeur. Il est membre de l'Association nationale des musiciens. L'an passé, sa chanson Vietnam victorieux a été entonnée par des millions de Vietnamiens après la victoire de l'équipe vietnamienne qui s'est hissée pour la première fois au sommet de l'Asie du Sud-Est.
Thuân Thiên/CVN