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Une séance de médiumnité. |
Le culte des Déesses-Mères mérite de retenir notre attention, en tant qu’exemple de syncrétisme religieux vietnamien et de croyance populaire spécifiquement vietnamienne, malgré ses emprunts au bouddhisme (adoption de Bodhisattva miséricordieuse Quan Âm comme souveraine suprême au taoïsme (intégration de certains saints et génies, en particulier de Ngoc Hoàng, Empereur de Jade qui gouverne l’Olympe des Immortels, pratique 4es rites magiques) et au confucianisme (notions du bien et du mal, certains rites sacrificiels).
Ce culte réservé originellement aux Déesses-Mères (Thanh Mâu) est essentiellement dominé par la femme, bien qu’une branche apparue ultérieurement soit patronnée par un homme, le général Trân Hung Dao - vainqueur des Mongols au XIIIe siècle et sanctifié par les fidèles. Le culte des Déesses-Mères s’inscrit dans le cadre du culte traditionnel des génies féminins au Vietnam.
Trois facteurs clés du culte
Trois facteurs président à la formation de ce culte : l’animisme, le respect de la femme et la culture du riz. Avant de subir l’influence du confucianisme chinois qui méprisait la femme, l’ancienne société vietnamienne, façonnée par le matriarcat, honorait celle-ci. D’autant plus que dans la culture du riz en terrain inondé, comme dans nombre d’autres pays du Sud-Est asiatique, la femme assume les travaux importants : semailles, repiquage, récolte... En tant que procréatrice, elle était élevée par l’animisme au rang de déesse du culte de la fécondité. C’est ainsi que la terre, l’eau et le ciel(1) - facteurs importants de la riziculture, avaient été déifiés par l’imagination populaire qui les appelait Mère Terre, Mère Eau, Mère Ciel. Au cours des millénaires, ces adorations sporadiques et locales s’étaient sans doute généralisées et décantées, afin de dégager des traits communs. Un culte national était né, celui des Déesses-Mères (Tho Mâu), baptisé aussi des Trois Palais (Tam phu) ou Quatre Palais (Tu phu)(2).
Son panthéon comprend des divinités et esprits d’importance secondaire, plus ou moins marginaux :
1. Des divinités bouddhiques, en particulier la Bodhisattva Quan Âm et le Bouddha A Di Dà.
2. Des divinités de l’olympe taoïste : l’Empereur céleste ou Empereur de Jade (Ngoc Hoàng).
3. Des génies et esprits divers, inclassables : le guerrier chinois des Trois royaumes Quan Công (Thanh Quan dê quân), les âmes des morts des familles de fidèles, les ancêtres.
Toutes ces divinités sont secondaires parce qu’elles s’incarnent rarement. Les divinités propres au culte des Déesses-Mères englobent hiérarchiquement les catégories suivantes :
1. Les Déesses-Mères des Trois ou Quatre Palais (Tam toa thanh mâu, Tam phu, Tu phu) :
a. Déesse-Mère du Ciel (Mâu Thuong Thiên) dont le rouge est la couleur sacrée. Son avatar, Liêu Hanh, d’origine humaine, est très populaire.
b. Déesse-Mère des Monts et Forêts (Mâu Thuong Ngàn), dont le vert est la couleur sacrée.
c. Déesse-Mère des Eaux (Mâu Thoai) : blanc.
d. Déesse-Mère de la Terre (Mâu Dia) : jaune.
2. Cinq grands mandarins royaux (Ngu vi vuong quân). Leur nombre peut atteindre dix. Fils du génie des Huit Mers (Bat hai Dai vuong).
3. Quatre (Déesses) Dames (Châu bà ou Thanh ba), avatars des quatre Déesses-Mères. Leur nombre peut atteindre 12.
4. Dix princes (Muoi ông hoàng), fils du génie des Huit Mers (Bat hai Dai vuong). Palais des Eaux.
5. Douze Demoiselles royales (Thâp nhi vuong cô), servantes des Déesses-Mères et des Dames.
6. Douze Garçons servant (Muoi hai câu), avatars des enfants morts (âgés de moins de 9 ans), suivants des Princes.
7. Cinq Mandarins Tigres (Quan Ngu Hô)
8. Monseigneur Lot (Ông Lot), génie Serpent.
Le Palais de la dynastie des Trân (Phu Trân triêu), culte masculin (bleu indigo), est annexé au culte des Trois (quatre) Palais auquel il fait pendant. Il adore le général Trân Hung Dao, son fils Trân Quôc Tang, ses deux filles et son meilleur lieutenant, Pham Ngu Lao.
La possession du médium
Comment devient-on adepte et médium de ce culte ? La possession du médium par les divinités précitées qui toutes s’avèrent bienveillantes est la caractéristique essentielle du culte des Déesses-Mères.
Une femme médium se maquille minutieusement. |
Chaque mortel est présumé avoir un destin, régi par un ou des génies des Trois (quatre) Palais. S’il a un «destin lourd», s’il tombe souvent malade, est assailli de malheurs, c’est qu’il est persécuté par ses (son) maîtres invisibles qui veulent le prendre comme soldat-servant... Pour montrer qu’il est d’accord avec ce recrutement, il doit passer par la cérémonie d’initiation tôn nhang qui consiste à porter sur la tête un plateau avec un vase d’encens.
Au cas où les (le) génies n’agréent pas sa requête (3), il doit célébrer la cérémonie d’entrée au service des (du) Génies concernés (trinh dông), cérémonie très coûteuse qui dure deux à trois jours. Il doit se faire présenter aux génies et accepter par eux comme médium (dông) grâce au «service des Ombres (génies)» (hâu bóng) au cours duquel s’incarnent les génies dans un médium professionnel.
Le hâu bóng est la cérémonie-clé du culte des Déesses-Mères. Une bà dông (femme médium) assise devant l’autel, se recouvre la tête et le buste d’un grand voile rouge qui la sépare du monde des mortels. Au cours d’une séance qui dure de 2 à 7 heures, les divinités descendent sur l’âme de la femme médium (giáng dông) pour s’incarner en elle. Toutes les divinités ne «descendent» pas, chaque médium a ses divinités préférées. Pour chaque incarnation (giá dông), le médium possédé par la divinité incarnée doit porter les costumes et les attributs (couleur, objets...) qui correspondent à sa catégorie et se comporter selon son tempérament (doux ou violent...). La tête du médium se met à tourner de plus en plus vite, entraînant tout le buste. Elle se met en transe, danse, parle durant l’incarnation. En tant que génie, elle distribue des faveurs aux fidèles présents (exauce leurs vœux). Le chanteur liturgique (cung van) joue un rôle très important en tant qu’animateur de chaque séance. Le novice ayant passé par une cérémonie du service des Ombres devient lui-même un médium attitré.
Huu Ngoc/CVN
(1). Le Ciel influe sur la culture du riz (pluie, sécheresse, typhon, vent...).
(2). Ainsi appelé parce que chaque Déesse-Mère règne sur un Phu (inonde, fief). Aux trois premiers Phu (Ciel, Terre, Eaux) devait s’ajouter un quatrième (Monts et Forêts).
(3). Il continue à être assailli de malheurs.