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Laurent Brunetti et Mario Pacchioli dans un instant plein de poésie. |
Photo : Pêcheurs de Rêves Production/CVN |
Récital. Chansons à texte. Théâtralité. Un champ lexical, qui en 2016, semblait être banni à tout jamais des salles de spectacles et des discographies modernes. Le choix des représentations suisses de proposer des sons d’antan pour célébrer le mois de la Francophonie en Asie pourrait passer pour des plus périlleux. Et pourtant. Où qu’ils posent leurs micros, d’Échallens à Bangkok, de Paris à Santo Domingo, du Québec à Lima en passant par Ho Chi Minh-Ville, Laurent Brunetti et Mario Pacchioli font salles combles. Serait-ce donc aussi cela, le miracle suisse ?
Le duo sillonne depuis décembre dernier les routes du monde pour interpréter leur récital Pêcheurs de rêves. Laurent au chant, Mario au piano, une quinzaine de titres (tous écrits et composés par leurs soins) sur les lointains souvenirs d’enfance et ces petits riens du quotidien, un soupçon de jeu théâtral. Rien de plus. En misant sur la simplicité, le duo crée de prime abord un vrai décalage avec son temps. Les textes doivent à eux seuls habiter la scène, sans paillette, ni artifice.
L’invisible, un langage universel
«L’artificiel est simple à réaliser quand on a les moyens. Communiquer sur l’invisible est plus difficile, et demande un gros travail pour que cela paraisse simple. En théâtre, un jour on pense avoir trouvé une réponse ou le bon geste, le lendemain tout est perdu. Il faut arriver à une plus grande humanité, sans maquillage», explique Laurent. Il évoque les longues et intenses semaines de préparation sur l’île de Noirmoutier en France avec le metteur en scène Pascal Arbeille. Des moments selon les deux artistes pour travailler l’interprétation et revenir à l’essentiel.
Et c’est sans doute cette invisibilité qui attire un public nombreux, et qui plus est, non-francophone. «La musique est déjà une langue universelle. Mais l’émotion, notamment la sincérité, l’est encore plus. Tout art sincère raconte une histoire, et quand on essaie d’imposer une vision, on se ferme. La théâtralité est un moyen pour capter l’attention, même quand on ne parle pas la même langue», poursuit le chanteur.
Pour Mario, c’est une «belle fierté de rentrer en communication avec des non-francophones. Devant 10 ou 1500 personnes, peu importe la grandeur de la salle, il se passe la même magie. On reçoit les cultures, les réactions, leurs sourires, même timides, toujours respectueusement. On est très reconnaissant de pouvoir le vivre».
Les deux Suisses se disent également ravit de pouvoir collaborer dans le cadre de la Fête de la Francophonie. Un événement selon eux qui regroupe des artistes dans un seul et même but, défendant les mêmes valeurs. «Ce n’est pas quelque chose de si courant. Les artistes roulent souvent un peu pour eux. On partage plutôt que de démontrer dans ce cadre», ajoute le chanteur.
«La théâtralité est un moyen pour capter l’attention, même quand on ne parle pas la même langue », souligne Laurent Brunetti. |
Photo : Pêcheurs de Rêves Production/CVN |
Un coup de coeur artistique
La complicité palpable et contagieuse entre les deux artistes sur scène marque aussi les esprits. C’est en 2006, dans le cadre d’une émission de télévision pour la fête nationale suisse du 1er août, que Laurent Brunetti, le Romand et petit fils de clown, rêvant de la mythique salle de l’Olympia, a croisé le chemin artistique de Mario Pacchioli, le Romanche multi-instrumentiste et bercé depuis tout petit par la musique classique. Les artistes invités ont chanté autour d’un piano, toute la nuit. Le déclic s’est fait.
Projets après projets, l’amitié s’est transformée en une vraie collaboration artistique. Une rencontre qui a aussi su chambouler les trajectoires, notamment pour Laurent. «J’avais l’habitude de chanter pour les autres, et je ne pensais pas à l’époque à écrire des textes. Mais travailler avec Mario m’a poussé à écrire. Ce n’était pas simple au début, mais avec l’âge, j’avais le sentiment de ne plus rien à perdre. Ce sont les rencontres qui déterminent nos chemins, on est rien tout seul», raconte-t-il.
Le secret de leur collaboration ? Ils avouent que tout se construit au fur et à mesure, à leur rythme. Rien n’est calculé, ni forcé. Ils prennent le temps de s’inspirer et du recul, notamment en été, dans le Sud de la France. «On doit se réserver des périodes sans concert dans l’agenda. Et c’est au fond un bon signe», partage en riant le pianiste. Ils racontent que la musique ou une chanson met du temps à se mettre en place. Elle se joue plusieurs fois, entre deux répétitions. Et puis un jour, elle sort enfin prête.
Ne pas oublier le passé
Un récital lyrique pour évoquer la douceur et le rêve du temps d’avant, ne serait-ce pas un style vieux jeu et quelque peu naïf ? Le duo s’en défend.
Parler de l’enfance n’est pas un moyen de s’accrocher à un monde utopique, mais plutôt une manière de ne pas oublier. Ou plus précisément, s’oublier. «L’enfance définit notre langue, nos valeurs, ce qui nous tient debout. Cela sert parfois à se rappeler des disparus. En étant enfant, on peut rêver et créer à partir de rien. Et malheureusement, c’est ce que nous perdons de plus en plus. On oublie avec le temps la valeur du rien et du simple», évoque Laurent.
C’est au fond une conception de la vie. Une ligne personnelle et professionnelle plus moderne que l’on ne pense.
«Rêver devient un art difficile face au cynisme ambiant. Mais paradoxalement, les gens désirent encore plus de rêver. Ils veulent se donner la permission, ils en ont besoin. C’est notre devoir et responsabilité de poursuivre, communiquer et partager les rêves par la culture», concluent les deux artistes.
Que l’on apprécie ou non le style musical de Pêcheurs de rêves, la question est finalement tout autre. Pourquoi ne pas, pour une fois, succomber à l’art de la simplicité et la sincérité ? Du rêve à la réalité, il n’y a qu’un petit pas à faire.