Le chant éploré de la veuve royale

Le roi Quang Trung (1753-1792) fut le fondateur de la dynastie des Tây Son, vainqueur des envahisseurs sino-mandchous Qing. Son épouse, Lê Ngoc Hân, composa le poème Ai Tu Van pour exprimer sa douleur à sa mort prématurée.

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Peinture de la princesse Lê Ngoc Hân (1770-1799).
Photo : CTV/CVN

Dans la littérature classique vietnamienne, en idéogramme chinois hán ou vietnamien nôm, l’expression lyrique jugulée par le confucianisme était plutôt impersonnelle. Il n’était pas décent d’étaler ses sentiments intimes.

"Pleurs et Regrets" (Ai Tu Van), long poème de la princesse Ngoc Hân (1770-1799), est un des rares joyaux qui font exception. Fille du roi Hiên Tông de la dynastie des Lê postérieurs (XVe-XVIIIe siècle), elle a épousé, à 16 ans, Quang Trung, roturier chef d’une insurrection paysanne, fondateur de la dynastie des Tây Son, vainqueur des envahisseurs sino-mandchous Qing.

Une œuvre en nôm

Après la mort prématurée de son illustre mari en 1792, elle compose Ai Tu Van, en idéogrammes vietnamiens nôm. Cette œuvre comprend des strophes ayant chacune un distique de 7+7 syllabes suivi d’un distique de 6+8 syllabes. Elle exprime la douleur d’une femme à la mort de son mari, d’une amante pleurant son aimé, d’un sujet regrettant son roi.

Ci-dessous un extrait :

Dans la chambre, le vent déverse sa froidure.
Sous la véranda, se flânent les fleurs d’orchidée.
La fumée recouvre la tombe du défunt.
On ne voit plus l’ombre du carrosse royal.
Je reste seule, pleurant sur moi-même.
Ciel, pourquoi briser ainsi notre union ?
Comment dire ma tristesse et ma peine ?
Profondes comme la mer,
Immenses comme le ciel.
À l’Est, des voiles voguent en tous sens.
À perte de vue, je ne vois que le ciel et l’eau.
À l’Ouest, arbres et monts s’étendent à l’infini.
Au Sud, errent des oies sauvages.
Au Nord, la brume, d’un blanc linceul couvre les forêts.
J’ai beau scruter les quatre horizons.
Le ciel est un abîme, où donc le retrouver ?
Plus je recherche, plus la séparation est longue.
Ma peine, en l’au-delà, a-t-elle quelque écho ?
Tristement je contemple la lune ternie,
Un voile a recouvert sa lueur argentée.
J’ai honte dans la glace, de revoir mon visage.
Mon amour, j’erre seule sur la rive déserte.
Toutes les fleurs hélas me renvoient ma détresse,
Le camélia pleure ses gouttes de rosée.
À regarder l’oiseau, j’ai le cœur déchiré,
La tourterelle vole, cherchant son compagnon.
Et chaque paysage porte en lui sa tristesse.
Où les festivités d’antan sont-elles allées ?
Un moment a suffi. Le monde est bouleversé
Ainsi coule la vie. Hélas ! à qui se plaindre ?
Amour, fidélité grande comme le ciel et terre,
Et mon tourment, avec les jours s’accroît.
À qui donc confier ma souffrance et ma peine ?
Que le soleil et la lune en soient témoins !

Huu Ngoc/CVN
(Décembre 1998)

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