Il faut du temps pour faire une estampe. |
Photo : CTV/CVN |
Si on se lève tard
Courte nuit, lever matinal. Dès potron-minet, j’attends des amis à la réception de leur hôtel pour une longue journée : Bát Tràng (en banlieue de Hanoï), Bút Tháp, Dông Hô (province de Bac Ninh), et, en fin de journée, train de nuit pour Lào Cai, toutes dans le Nord. Si nous voulons tout faire et être à l’heure pour le départ du train, nous n’avons pas intérêt à rigoler avec les horaires. Le ciel est bleu, la voiture est prête, la chaussée est sèche, tout est paré pour donner le signal de départ.
À mon sourire matinal, mes amis, attablés pour le petit-déjeuner, répondent par pour le sourire fatigué. J’ai quelques scrupules à leur annoncer qu’il faut se hâter de terminer le plantureux petit déjeuner pour quitter Hanoï avant les embouteillages du matin. Scrupules vite remplacés par un accablement sans nom, lorsqu’ils m’annoncent naïvement qu’ils viennent seulement de se lever. Douches, valises et autres préparatifs sont encore à l’état de projets, alors que le chronomètre est déjà enclenché pour accomplir le programme qu’ils se sont fixés. Décalage horaire oblige, s’excusent-ils !
Dans ma tête, c’est un décrassage horaire qui se met en branle. Comment boucler le circuit avec un handicap d’une heure au départ ? Tandis que mes amis barbotent joyeusement dans leur baignoire, une réunion d’urgence des commissaires de course a lieu dans le hall de l’hôtel. Le chauffeur de notre voiture, mon épouse et moi-même, nous devons décider de sacrifier une étape à la diachronie de nos amis. Le thé est amer, la décision ne l’est pas moins : c’est l’artisanat traditionnel qui l’emporte au détriment de la spiritualité.
La pagode de Bút Tháp est sacrifiée sur l’autel de l’horaire des chemins de fer vietnamien. Quelques tasses de thé plus tard, nos amis apparaissent dispos mais pas encore très frais, ce qui justifie une demande expresse de "café đen" (café noir). Si mon épouse reste stoïque, moi, contrairement au café, je commence à bouillir. Ma cafetière personnelle menace d’exploser !
Heureusement, la voiture s’ébranle, la vapeur retombe, et j’entre dans mon rôle de guide socio-historico-économico-touristique. Les questions fusent, les réponses aussi. Parfait dérivatif, pour éviter de penser que nous devrions déjà être à Dông Hô pour admirer les estampes et discuter avec des artisans, alors que nous sommes encore dans les embouteillages de Gia Lâm, en banlieue de Hanoï. Ce que je ne sais pas, c’est que le pire est encore à venir…
Après avoir quitté la route nationale 5, à hauteur de Phú Thuy, nous nous arrêtons pour une immersion dans un marché de village. C’était prévu, mais ce qui l’était moins, c’est le subit intérêt que les bà (dames) manifesteraient pour les Tây (étrangers) : interpellations, conversations, traductions… Et les dix minutes prévues se transforment en une demi-heure.
J’ai beau traduire de façon lapidaire, insister pour dire qu’on a encore du chemin à faire, qu’il faut qu’on arrive au restaurant traditionnel que j’ai choisi avant midi, qu’on aura peut-être pas le temps de tout voir… Rien n’y fait ! Tandis que l’une sollicite mon épouse pour aller regarder ces adorables petits gilets au bout de l’allée de gauche, l’autre me demande de lui détailler tous les légumes et autres herbes aromatiques sur un stand au bout de l’allée de droite. Le marché devient un dédale où l’on se perd, se croise, se dilue dans un univers intemporel.
Le temps ! C’est ce qui commence cruellement à manquer, et alors que j’imagine déjà que nous devrons aussi abandonner les estampes de Dông Hô à leur triste sort, je suis sauvé, non par le gong, mais par les chiens !
On court toute la journée
Une œuvre de l'imagerie populaire de Dông Hô. |
Photo : Archives/CVN |
En effet, à la question "C’est quoi comme viande ?", succède la réponse "C’est du chien !", ce qui entraîne immédiatement un repli dégoûté vers la voiture. Marché derrière nous, sus à Dông Hô ! Enfin, plus facile à dire qu’à faire, car la route éprouvée par les inondations des derniers jours est devenue une véritable piste de brousse. Nids de poule, de buffle ou d’éléphants se succèdent. La voiture slalome entre des cuvettes boueuses et des collines caillouteuses. Vitesse maximum : 10 km/h.
Du coup, les dix kilomètres qui nous séparent de Dông Hô scellent définitivement le sort du joli restaurant sur pilotis que j’avais envisagé pour midi. Nous mangerons où nous pourrons, quand nous pourrons. Il est midi quand nous arrivons à Dông Hô, je suis debout depuis 06h00 du matin, et mes amis commencent à découvrir la relativité des distances et du temps au Vietnam… Et pour le malheur de notre feuille de route, ils découvrent également le sens de l’hospitalité vietnamienne. Musardant dans les rues du village, nous bavardons avec les artisans qui nous font volontiers entrer chez eux pour nous expliquer les secrets de fabrication des objets en papier qu’ils confectionnent.
Au détour d’une ruelle, mes amis sont surpris par un immense dais bleu dans une cour, protégeant un nombre considérable de tables. Le temps de leur expliquer qu’il s’agit des préparatifs d’un mariage, déjà les heureux parents du futur marié nous invitent à entrer pour nous faire partager leur joie. Thé vert, alcool, salutations aux futur époux, aux quelques membres de la famille déjà arrivés, les minutes s’écoulent, et le repas de midi s’éloigne. Il faudra attendre encore une heure avant de quitter Dông Hô, après avoir visité un atelier de graveur d’estampes, accompagnés des inévitables explications, démonstrations, acquisitions et négociations.
La course de fond a continué toute l’après-midi. Moi, l'œil rivé sur le chronomètre, mes amis l'œil attiré par tout ce qu'ils voyaient… Avec, pour ligne d'arrivée, le départ du train pour Lào Cai. Que nous avons finalement réussi à atteindre, à l'extrême limite de nos forces.
Le train nous emporte vers un autre marathon !
Gérard BONNAFONT/CVN