De quoi se faire des poils

Ce n’est pas que les Vietnamiens aiment le chien qui me surprend encore aujourd’hui, c’est la façon dont ils aiment les chiens qui ne cesse de me stupéfier.

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Un chien qui a du poil... et du remontant.
Photo : ST/CVN

En fait, d’amour du chien, c’est peut-être d’amour de l’image de soi dont il s’agit. Vous savez, cette obsession permanente de se différencier. Ce qui pour une société communautaire comme celle du Vietnam peut paraître aberrant. Mais, les temps changent, les cultures s’entrechoquent, et il en émerge le meilleur comme le pire. Et dans le pire, parfois, le chien est le dindon de la farce.

Langue pendante

Promenade sur les rives sableuses du fleuve Rouge, par un bel après-midi, chaud à ruisseler de haut en bas. C’est en m’engageant sur un petit chemin pierreux entre deux rangs d’épis de maïs que je fais une rencontre canine inédite au Vietnam.

Quand je vois l’animal qui coure derrière la moto de son maître, j’ai du mal à en croire mes yeux. Fourrure marron et blanche, yeux en lunettes, oreilles pendantes, mufle écrasé, langue écumante, poitrail large, pattes robustes, queue en long fouet poilu : j’ai devant moi un Saint-Bernard. Un chien réputé pour aller dénicher les gens ensevelis sous des avalanches de neige et de glace. Un chien, dont le nom vient du monastère d’où il est issu, tout là-haut, au Col du Grand Saint-Bernard, dans une région qui connaît plus l’hiver, le froid, le blizzard, le gel que le soleil tropical de l’Asie du Sud-Est.

Je profite de l’arrêt momentané du propriétaire motorisé pour m’approcher du chien qui s’écroule dans le fossé qui borde le chemin. Comme il suffit de quelques caresses à un chien pour lier connaissance avec son maître (le contraire est possible, mais l’intérêt est différent), la… glace est vite rompue !

J’ai possédé, dans une autre vie, un animal de ce type. Et c’est sans doute ce qui me fait m’apitoyer sur cette bête, tellement loin de son milieu naturel, dont les flancs se soulèvent au rythme de son halètement digne d’une forge. Pédagogue incorrigible (ou donneur de leçons selon), j’explique au bipède une des règles élémentaires concernant son quadrupède. Et puisque c’est moi qui tiens le stylo, je ne peux m’empêcher de vous en faire part. Un des meilleurs moyens de provoquer une crise cardiaque à son chien, c’est de le faire courir, soit derrière un véhicule, soit derrière un maître qui fait son jogging.

En effet, à part quelques races sélectionnées pour cela, un chien n’est pas conçu pour courir sur de longues distances. Un chien, ça trottine, ça musarde, ça fait de temps en temps des pointes de vitesse pour faire peur à un oiseau ou rattraper un bâton, mais ça n’est pas fait pour un marathon. Surtout un Saint-Bernard, au bord du fleuve Rouge, sous une température de 28°C !

Heureusement pour le futur molosse, je trouve une oreille étonnée et compréhensive chez son maître, qui jusque là n’avait jamais envisagé que les déjà 30 kilos de fourrure sur pattes puissent ne pas être taillés pour faire de tels efforts. D’autant plus que l’acquisition est récente : quelques semaines seulement.

Surpris quand même que l’on puisse trouver ce genre d’animal au Vietnam, je m’enquière de son origine. La réponse est lapidaire : Chine. Quand on connaît la température de certains lieux de la Chine du Nord, on comprend mieux que de tels animaux puissent y trouver un développement favorable, mais ici, loin du Fansipan qui ne connaît que quelques brèves chutes de neige, un chien pareil est incongru et attise ma curiosité.

Curiosité vite contentée par une autre réponse, aussi honnête qu’indécente : "Parce que les autres n’en ont pas un comme ça". Que dire à cela ? Je prends congé, avec un sourire forcé, de mon provisoire interlocuteur, en espérant que je lui ai fait suffisamment peur pour qu’il respecte un peu plus son chien, et en songeant déjà à l’histoire que je pourrais plus tard raconter à ma fille pour l’endormir : celle du maître qui voulait un chien pas comme les autres et qui a fait venir au pays de la chaleur un chien du pays du froid. Où va se nicher le besoin de reconnaissance ?

Museau au vent

Quelques jours plus tard, j’ai une autre preuve d’amour cynophile, moins égoïste cependant, mais tout aussi surprenante.

Je roule tranquillement dans une rue de Hanoï, quand, à l’occasion d’un ralentissement, arrive à ma hauteur un scooter surmonté de deux jeunes filles et d’un… labrador. Celui-ci est assis sur l’espace libre entre la selle et le guidon du scooter. Trop gros pour être face à la route, il est installé de guingois, mais arbore l’air placide de l’habitué de ce genre de locomotion.

D’ailleurs, je profite de l’arrêt momentané de la circulation pour flatter le museau humide, ce qui me vaut en retour un coup de langue baveux et un sourire éclatant (Je vous laisse le soin de remettre tout cela en ordre parmi les occupants du scooter.).

Pour le coup, si le chien des neiges souffrait d’un trop plein d’exercice, le chien des mers semble profiter d’un excès de sédentarité, à en juger sa morphologie rebondie. J’en ai confirmation, quand la conductrice - propriétaire - m’explique qu’elle le promène régulièrement comme cela. Je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’un jour, un homme de marketing s’emparera de cette idée, et que l’on verra apparaître sur le marché des scooters avec plate-forme adaptée au chien, comportant une écuelle intégrée !

En même temps, je trouve tellement ridicule ce bon gros chien qui serait mieux sur ces quatre pattes pour trottiner, plutôt que d’être installé comme un bambin devant les genoux de sa maîtresse ! D’autant plus que comme celle-ci et sa passagère, il ne portait pas de casque ce jour-là. Où va se nicher l’anthropomorphisme ?

Je ne voudrais pas que ces propriétaires me gardent un chien de leur chienne. Mais il existe au Vietnam suffisamment de chiens de compagnie, adaptés au climat, pour éviter des migrations canines au nom de modes éphémères…


Gérard Bonnafont/CVN

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