La tradition photographique vietnamienne

Situé en banlieue de Hanoï, Lai Xá est connu comme le berceau de la photographie nationale. En 1892, Nguyên Ðình Khánh, un villageois, a ouvert le premier studio dans la capitale, marquant le début de ce métier au Vietnam.

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Visiteurs au Musée de la photographie dans le village de Lai Xá.

Modernisation signifie au Vietnam occidentalisation. La modernisation des lettres et des arts a commencé vers les années 1920 sous l’influence croissante de la culture occidentale sur la culture traditionnelle après l’implantation solide de la colonisation française.

En outre, le besoin de renouvellement s’est fait sentir, d’où la naissance du roman moderne avec Tô Tâm publié en 1925 de Hoàng Ngoc Phách (1896-1973), du mouvement de la Poésie Nouvelle ou "Tho Moi" et de la chanson moderne dans les années 1930, du Théâtre parlé (kich) au lendemain de la Première Guerre mondiale, de la peinture moderne avec la création de l’École des beaux-arts de l’Indochine en 1925…

La photographie servait le mouvement patriotique

Cependant, la photographie avait fait son apparition un demi-siècle plus tôt avec l’ouverture en 1869 à Hanoï, rue Ngo Gach (rue des Briques), d’un studio-boutique. Son propriétaire, le mandarin lettré réformateur Ðang Huy Tru (1825-1874), avait appris le métier au cours d’une mission d’étude en Chine. En 1873, les Français ayant occupé Hanoï, il abandonna son studio pour rejoindre la Résistance dans la haute région.

En 1892, à l’époque coloniale, Nguyên Ðình Khánh, dit Khánh Ký (1874-1946), a ouvert un studio-photo à Hanoï, rue Hàng Da (rue des Cuirs), qui devait marquer l’histoire de la photographie vietnamienne.

Il est curieux de remarquer qu’à ses débuts, la photographie nationale avait servi le mouvement patriotique vietnamien. Le photographe Khánh avait contribué aux activités du Ðông Kinh Nghia Thuc (École libre de la Capitale de l’Est), pépinière des militants anticolonialistes dirigée par des lettrés patriotes.

Le village de Lai Xá est connu comme le berceau de la photographie nationale.

Se sentant menacé par la police, Khánh a demandé à aller en France sous prétexte d’y approfondir son métier. Il a réussi professionnellement à Paris. Une de ses photos du président Raymond Poincaré a été reproduite sur la première couverture de la prestigieuse revue Illustration.

Khánh n’a pas manqué de soutenir financièrement le combat politique mené par les ressortissants vietnamiens, dont des figures de proue telles que Phan Châu Trinh, Phan Van Truong et Nguyên Ái Quôc, le futur Hô Chi Minh. Il a enseigné à Trinh et Quôc la photographie pour leur permettre de gagner leur vie tout en menant leurs activités révolutionnaires. Cette technique ne disposait pas alors de moyens perfectionnés et les travaux d’agrandissement et de retouche convenaient parfaitement à nos lettrés habitués à la calligraphie chinoise.

Choc culturel et piété filiale

Il va sans dire que l’introduction de la photographie occidentale au Vietnam a produit un choc culturel. Pour amortir ce dernier et plaider en faveur de la nouveauté, Ðang Huy Tru a invoqué la notion sacrée du hiêu (piété filiale), pierre angulaire de la morale traditionnelle fortement confucianisée : "De tout temps, on ne peut ressusciter la chair et les os. En correspondance avec le cœur, la photo peut faire revivre l’âme. Au-delà de la mort et de la disparition, l’enfant pieux ne se résigne pas à laisser ses parents tomber dans l’oubli… Jadis Vuong Kiên s’était dépensé en vain sans pouvoir faire jaillir dans le rêve les traits de son père et de sa mère… (À l’heure actuelle), pour que 100 ans après la mort des parents, leur image reste toujours présente et qu’on puisse témoigner sa piété filiale, le moyen unique est la photo" (1869).

En faveur de la piété filiale et du sentiment familial, la photographie vietnamienne, dès sa naissance, était axée sur le portrait, placé après la mort de l’intéressé sur l’autel des ancêtres. Pour de telles photos, les ouvriers photographes de Lai Xá, formés par Nguyên Ðình Khánh, leur co-villageois, ont adopté un style conventionnel inspiré sans doute par les anciens portraits dessinés sur soie, à l’encre de Chine. La personne photographiée doit être assise, vue de face, les deux mains avec leurs dix doigts posés sur les genoux. On doit voir nettement les yeux et les oreilles.

Le phénomène Lai Xá

Le village de Lai Xá est surnommé "Village traditionnel de la photographie.

Parlant des temps héroïques de la photographie vietnamienne, on ne saurait passer sous silence le "phénomène Lai Xá".

Lai Xá, à 15 km de Hanoï, est surnommé "Village traditionnel de la photographie". Partant de cet endroit, Nguyên Ðình Khánh a contribué à faire prospérer la photographie commerciale durant la période 1892-1945 dans tout le pays. Les villageois, ses élèves, ont ouvert 150 studios ou travaillé comme ouvriers photographes (2.000) dans tous les coins du Vietnam et même en France, en Allemagne, en Chine, au Laos et au Cambodge.

L’âge d’or de Lai Xá a pris fin avec les bouleversements économiques et sociaux causés par la Révolution de 1945 et les deux guerres de résistance (1945-1975). Un grand nombre de ses photographes se sont distingués par leurs services rendus au pays, dans les organismes civils ou dans l’armée (surtout comme reporters de guerre). La photographie commerciale dépérissait dans les conditions de guerre. Plus d’un photographe de Lai Xá a dû abandonner son métier pour vivre de moyens fortuits.

Le regain n’a eu lieu que depuis l’adoption de la politique de Ðôi moi (Renouveau) en 1986, grâce à une amélioration sensible des conditions de vie. Les photographes de Lai Xá ont rouvert ou ouvert partout des studios, ou trouvent de nouveau des emplois. Le métier se ranime au village. Une dizaine de jeunes villageois vont chaque jour à Hanoï comme photographes ambulants au service des touristes visitant les sites.

Pas mal de paysans pratiquent la photo comme ressource d’appoint. J’ai rencontré trois jeunes femmes, très dégourdies, prêtes à laisser de côté leurs travaux champêtres pendant un certain temps si quelqu’un de la région leur demande d’aller prendre des photos (titre d’identité, mariage, fête populaire). C’est que pour le budget familial, la photo rapporte quatre fois plus que la culture du riz.

Lai Xá a créé un club de photographes qui a ouvert deux classes de formation et de perfectionnement professionnels. Cette agglomération rurale a fait l’objet d’une étude faite par Hoàng Kim Ðáng (Lai Xá, làng nhiêp anh - 2006). Dans cet article, nous ne traitons pas encore de la photographie d’art et de la photographie médiatique qui ont pris un grand essor à partir des années 1930.

Huu Ngoc/CVN
(Juillet 2005)

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