La taxe carbone aux frontières, un risque pour la compétitivité européenne

La taxe carbone aux frontières a été instaurée pour protéger les efforts de verdissement des économies européennes, mais elle risque de les rendre moins compétitives, selon deux études récentes.

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Du carbon émis d'une centrale à charbon à Victoria, en Australie. Photo : AFP/VNA/CVN

Le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) auquel le parlement européen a donné son feu vert le 18 avril obligera les importateurs de certains produits à acheter des quotas d'émission au même titre que les fabricants européens, afin de maintenir des conditions de concurrence équitables face à la disparition programmée des quotas gratuits en Europe.

L'importateur d'acier chinois ou de ciment turc devra ainsi déclarer les émissions liées au processus de production et si elles dépassent le standard européen, acquérir un certificat d'émission au prix du CO2 dans l'Union européenne. Si un marché de carbone existe dans le pays de production, mais avec un prix du carbone moins élevé qu'en Europe, comme c'est le cas actuellement en Chine et dans certains États américains, l'importateur paiera la différence.

"L'objectif est d'avoir un prix du carbone à l'intérieur de l'Europe sans que cela pèse du point de vue de la compétitivité sur les produits qui y sont soumis", a expliqué à l'AFP l'économiste Aude Pommeret, qui a coordonné le volet compétitivité du volumineux rapport sur les incidences économiques de l'action pour le climat, remis en mai à Élisabeth Borne par l'économiste Jean Pisani-Ferry.

Selon ce rapport, le MACF est "un dispositif imparfait, qui limite les fuites de carbone, mais ne traite pas au fond la question de la compétitivité" tandis que "le pari industriel européen est mis en cause par l'IRA", le plan américain qui subventionne les produits vertueux du point de vue environnemental fabriqués sur le sol des États-Unis.

Menace sur la réindustrialisation

Autre grief du rapport Pisani-Ferry : le MACF aggrave les problèmes de distorsion de concurrence pour les exportateurs. Le mécanisme sera mis en place progressivement entre 2026 et 2034, parallèlement à la suppression des quotas d'émission gratuits. Les produits soumis à ce système de quotas et fabriqués en Europe seront ainsi plus chers, et par conséquent moins compétitifs qu'ailleurs.

"Une voiture fabriquée dans l'UE avec de l'acier européen subira un surcoût à raison de son contenu en carbone, ce ne sera pas le cas pour les voitures fabriquées en Chine", relève le rapport.

"Avec ce nouveau système, on va faire payer les utilisateurs. Ce ne sont pas les Chinois ou les Turcs qui vont payer la taxe aux frontières, c'est ça qui peut-être mal compris par le grand public ou même par les décideurs", a déploré dans un entretien à l'AFP Raphaël Trotignon, coauteur avec Olivier Redoulès d'une étude publiée mercredi par l'institut Rexecode intitulée "L'architecture de l'ajustement carbone aux frontières menace l'objectif de réindustrialisation".

Les deux économistes ont calculé que d'un côté, la valeur totale des produits sur la liste du MACF importés par la France s'élevait à seulement 7 milliards d'euros par an, sur 575 milliards d'euros d'importations en 2019.

Mais de l'autre la suppression des quotas d'émission, ou permis de polluer, gratuits, aura un champ d'application bien plus large, représentant "une dégradation des comptes d'exploitation des entreprises de l'ordre de 45 milliards d'euros par an au niveau européen et de 4 milliards d'euros en France", selon Rexecode.

"Il y a un antagonisme entre l'idée de départ, qui est de protéger face à une concurrence européenne, et le fait que paradoxalement, pour une partie, on risque d'aggraver la désindustrialisation", estime Raphaël Trotignon.

Le MACF, dont la mise en place va être expérimentée dès l'automne 2023, couvrira dans un premier temps les seuls secteurs de l'énergie ainsi que les industries très intensives en énergie et l'aviation commerciale. Le mécanisme sera progressivement élargi au transport maritime puis au transport routier et au secteur du bâtiment en 2027-2028.

Mais aucun calendrier n'existe pour l'ensemble des produits industriels, dont le contenu en carbone est d'autant plus difficile à calculer que les étapes de fabrication sont nombreuses.

Malgré toutes ces imperfections, le MACF "va dans le bon sens", estime néanmoins Aude Pommeret, ajoutant que "toute initiative et toute réussite européenne pour se coordonner et pour aller dans le bon sens était très largement à saluer".

AFP/VNA/CVN

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