La nouvelle vie des tatouages tribaux d’Indonésie

Fleurs, animaux, motifs géométriques... Les tatouages tribaux connaissent un nouvel essor en Indonésie. Sur la grande île de Java, des hommes en costume traditionnel pratiquent cet art selon une méthode ancienne, la peau recouverte d’ornements ancestraux, parfois au cœur de la jungle.

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Certains ont le corps orné de fleurs tatouées à l’encre noire, inspirées par des tatouages de la tribu Dayak, sur la partie indonésienne de l’île de Bornéo. D’autres arborent une série de longues lignes, à l’image de celles de peuples indigènes d’îles isolées de l’Ouest de l’Indonésie.

Ces dessins, mis en exergue lors d’un récent festival du tatouage, ont été réalisés selon un procédé tribal qui remonte à plusieurs siècles : des artistes utilisent une tige en bois, avec à son extrémité une aiguille qui est trempée dans l’encre puis piquée dans la peau du futur tatoué.

Les tatouages de Ranu Khodir, un artiste indonésien, dans un musée de Jakarta.

Faire revivre un art du passé

Au fil du temps, cette pratique avait presque entièrement disparu au profit des techniques modernes, telle l’utilisation d’aiguilles électriques, qui se sont imposées en Indonésie comme ailleurs.

Mais dans l’archipel indonésien, comme dans d’autres endroits du Pacifique, elle a ressurgi à partir de la fin des années 80 et connait depuis plusieurs années un renouveau, grâce à un groupe d’artistes tatoueurs qui s’appliquent à faire revivre cet art du passé.

«Les gens qui veulent connaître le tatouage traditionnel sont maintenant plus nombreux», se réjouit Herpianto Hendra, l’un d’eux, «très content» que sa culture soit ainsi «reconnue» : il appartient au groupe Iban, une ethnie des Dayak, dont l’un des motifs les plus célèbres représente une fleur d’aubergine.

Rites initiatiques et faits d’armes. Chez les Iban, on tatouait cette fleur d’aubergine sur l’épaule du jeune adolescent pour symboliser son entrée dans le monde adulte. Puis, à chaque étape marquante de la vie - comme au retour d’une expédition guerrière, par exemple - un tatouage était ajouté sur le corps.

Chez les Dayak, populations autochtones vivant dans la jungle de Bornéo - une immense île à cheval sur trois pays, la Malaisie, Brunei et l’Indonésie - les étapes importantes de la vie étaient symbolisées par des motifs noirs d’animaux, de fleurs ou d’étoiles.

D’autres peuples indigènes d’Indonésie, notamment dans l’archipel des Moluques (Est) ou sur l’île des Célèbes (Sulawesi, centre), ont aussi une culture d’ornement de la peau.

L’artiste Durga, probablement le plus en pointe en Indonésie selon l’anthropologue américain et expert du tatouage Lars Krutak, a vu affluer dans son studio des amateurs venus d’Indonésie mais aussi de l’étranger, lors du festival organisé en décembre dans le village de Maguwoharjo, dans le cœur culturel de Java.

Durga est un ardent défenseur des tatouages des îles Mentawai, à l’ouest de Sumatra. Ses dessins, notamment de longues lignes harmonieuses et fluides sur le corps, les mains et les pieds, symbolisent les liens étroits entretenus entre cette tribu et la nature. Mais son art puise aussi dans les cultures hindoue et bouddhiste, ou encore dans le chamanisme, l’animisme...

Ranu Khodir, un artiste indonésien, exécute un tatouage dans un musée de Jakarta.

Autrefois, les missionnaires chrétiens ont œuvré contre cette tradition du tatouage tribal. Les autorités indonésiennes la découragent aussi aujourd’hui, la jugeant dépassée. Elle se perd de toute façon à mesure que les plus jeunes membres des tribus quittent leurs villages pour s’installer dans des villes, à la recherche de meilleures conditions de vie.

«Profondément spirituels»

Pour autant, les efforts entrepris par les artistes tatoueurs contemporains pour vivifier ces pratiques venues d’une autre époque rencontrent un certain succès, car ces ornements sont «uniques, beaux et profondément spirituels», estime l’anthropologue Lars Krutak.

«Les habitants des grandes villes sont à la recherche de quelque chose qui a une signification, surtout s’ils prévoient de porter ces tatouages sur leur corps pour le reste de leur vie», explique-t-il.

À Jakarta, la capitale, un petit musée dédié à l’ornementation corporelle indigène présente de nombreux objets de tribus et photos d’indigènes tatoués. Si beaucoup d’amateurs y viennent, c’est notamment pour se faire tatouer : Khodir, qui œuvre sur place, raconte avoir abandonné depuis quelques années l’utilisation des techniques modernes pour revenir au tatouage ancestral.

Sa démarche est militante. Khodir n’appartient pas lui-même à un groupe indigène mais indique vouloir ainsi «défendre la culture indonésienne traditionnelle». Et ce, même s’il faut plus de temps pour effectuer un tatouage selon la méthode ancestrale qu’avec des outils modernes.

La survie de cet art n’est toutefois pas assurée partout en Indonésie : des experts estiment que les tatouages de certaines tribus isolées risquent de disparaître. «Je crains que ces connaissances traditionnelles soient bientôt perdues pour de bon», prévient M. Krutak. «À moins qu’un effort concerté ne soit entrepris immédiatement pour les répertorier».  

AFP/VNA/CVN

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