La maison ancienne, nouveau signe extérieur de richesse

Depuis quelques années, il est de bon ton parmi une clientèle fortunée de posséder une maison ancienne en bois. Ces bâtisses rustiques, habitat de montagnards sans le sou, sont ainsi devenues le pied-à-terre préféré des milliardaires.

Au village de Co Giao, dans la commune de Hông Vân, à Hanoi, on cultive des plantes d’ornements depuis des générations. Certains, qui ont fait fortune, ont dépensé des sommes folles pour acheter d’anciennes maisons de minorités ethniques. Nguyên Van Tuân a été l’un des pionniers. Il a déboursé 200 millions de dôngs pour acquérir sa première maison en bois à Lang Son, à quoi se sont ajoutés les frais pour rénover l’habitation et la conformer à des standards de vie plus confortables, en y adjoignant par exemple des vitres. Au total, la facture s’est élevée à 400 millions de dôngs. D’autres lui ont emboîté le pas.

Nguyên Van Trang est l’heureux propriétaire d’une maison bâtie en 1774, qui a donc 234 ans.


Showroom en plein air
La demande suscitant l’offre, un «business» autour de ces vieilles bâtisses est né. Il y a même en banlieue de Hanoi un village spécialisé dans ce commerce lucratif : Cô Ban (Thanh Oai). Les marchands vont «chasser» les vieilles maisons dans les provinces montagneuses de Hoà Binh, Son La, Yên Bai, Phu Tho. Chaque maison intéressante dont les propriétaires sont vendeurs est photographiée sous tous les angles. Lorsqu’un client est intéressé, ils l’amènent sur place, puis une fois le prix fixé, elle est complètement démontée, avant d’être remontée sur le terrain du nouveau propriétaire. Un «job» qui demande de l’énergie, il faut prospecter des zones reculées et essuyer de nombreux refus. Car une maison c’est bien plus qu’un lieu de vie, c’est aussi l’héritage des ancêtres (certaines dépassent les 200 ans d’âge), où l’âme de ceux-ci plane encore. Parfois la bâtisse n’est achetée que 20 à 30 millions de dôngs, mais revendu dix fois plus ! Un business lucratif donc...
Dans la commune de Diên Minh, province de Quang Nam, on ne présente pas de photos aux acheteurs, mais les maisons elles-mêmes, qui sont alignées comme dans un «showroom» en plein air. Certains patrons emploient des centaines de travailleurs, chargés de dénicher les perles rares, de les démonter, de les transporter dans la plaine, d’éventuellement les restaurer avant la mise en vente. Mais selon l’un de ces chefs d’entreprise fortunés, Lê Van Tang, «une maison en bois a plus de valeur quand elle est vendue sur son lieu d’origine, là où elle a été construite». Il déplore qu’avec le processus d’urbanisation, la destruction des vieilles demeures s’accélère. Beaucoup de familles paysannes considèrent en effet l’habitation en dur comme un progrès. On ne peut pas les blâmer. En une dizaine d’années, Lê Van Tang a acheté un millier de maisons, qu’il a restaurées puis vendues à des clients en quête d’une maison de campagne originale.
Milliardaire virtuel
Parfois, certaines en bois précieux atteignent des sommes astronomiques. Nguyên Van Trang est l’heureux propriétaire d’une maison bâtie en 1774, et qui a donc 234 ans. En plus d’être très ancienne, elle a comme particularité d’être entièrement en bois de fer (ou bois lim) et de posséder 48 piliers. En 2009, une délégation malaisienne de recherche sur la culture en Asie-Pacifique lui a proposé de l’acheter un million de dollars. Mais M. Trang a refusé. Beaucoup dans le village l’ont pris pour un fada. On l’affuble désormais du sobriquet de «milliardaire virtuel». Pas sûr qu’il ait vraiment envie de passer au statut de milliardaire réel...

Une maison c’est bien plus qu’un lieu de vie, c’est aussi l’héritage des ancêtres où l’âme de ceux-ci plane encore.


Ces dernières années, nombreux ont été les paysans pauvres à vendre leurs maisons en bois. Parfois pour une bouchée de pain... Selon Anh Quy, un autre businessman, «ces demeures sont l’âme de la montagne, et si elles ne sont pas protégées, elles seront toutes remplacées par des maisons en béton». Il tient cependant à préciser que le marché lucratif autour de ce patrimoine n’accélère pas sa disparition, car de toute façon la plupart des montagnards qui vendent leur habitation avaient déjà l’intention de se bâtir une maison en dur. «Beaucoup de celles que j’ai achetées étaient condamnées à finir en bois de chauffage», confie Anh Quy.
Vouloir passer ses week-ends dans une jolie maison en bois est un plaisir bien louable. À condition que ce ne soit pas des nouveaux riches «m’as-tu-vu» et sans culture uniquement animés par le désir de flatter leur égo démesuré et de multiplier les signes extérieurs de richesse.

Phong Delon/CVN

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