Une plateforme offshore au large de Ravenne en mer adriatique. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"La situation est pesante", témoigne sous couvert d'anonymat un marin de Bourbon Offshore Surf, filiale du groupe français de services maritimes Bourbon. "Physiquement, le travail est dur sur le long terme", assure le marin dans un échange téléphonique depuis une plate-forme pétrolière au large de l'Afrique de l'Ouest.
Cela fait trois mois qu'il transporte des passagers, d'une plate-forme pétrolière vers le continent africain et vice-versa, sans savoir quand il pourra rentrer en France, où il aurait dû revenir début avril. "Éloignement familial, fatigue cumulée, risque élevé de contracter la maladie, pas de date de retour...", énumère un autre marin de la société, lui aussi au large de l'Afrique, et qui devait rentrer fin mars.
Pour les deux marins, les consignes de distanciation physique sont "impossibles" à respecter. "Le productivisme prime sur la sécurité", regrette le second. "Actuellement, nous avons environ 350 marins coincés au large de l'Afrique, certains depuis fin décembre", témoigne un autre marin de Bourbon Offshore Surf, lui aussi sous couvert d'anonymat, expliquant avoir signé avec son entreprise une clause de confidentialité.
"La maladie est arrivée sur les champs de pétrole", s'inquiète-t-il, assurant que certains marins effectuent des évacuations de malades du nouveau coronavirus, une information confirmée par la direction du groupe, qui assure que sa priorité aujourd'hui "est la sécurité des équipes".
"La plupart des équipages doivent rallonger leur période à bord, mais globalement les marins le comprennent", assure-t-il, évoquant "quelques relèves depuis quinze jours et évacuations, au cas par cas, depuis six semaines" parmi ses 2.000 marins actuellement en mer. Certaines compagnies pétrolières, comme Total ou ExxonMobil, affrètent des avions pour rapatrier leur personnel. Des marins de Bourbon ont notamment pu en profiter, mais au compte-gouttes.
"Frontières fermées"
"Plusieurs milliers" de marins sont actuellement "bloqués" sur leur bateau sur toutes les mers du globe, affirme Laure Tallonneau, inspectrice de la Fédération internationale des transports (ITF). Si certains marins-pêcheurs ont notamment pu être rapatriés récemment en France depuis le Royaume-Uni, cela reste "assez minoritaire", selon elle.
"Certains marins, ceux qui coûtent le moins cher et viennent de l'autre bout du monde, ne peuvent parfois pas rentrer chez eux car leur pays n'est pas en mesure de faire face à des marins éventuellement contaminés", regrette la jeune inspectrice. Chez Orange Marine, qui dispose de trois navires sous pavillon français, les marins malgaches, une petite moitié sur la soixantaine de membres d'équipage que compte chaque bateau, n'ont ainsi pas encore pu être relevés.
"Madagascar est totalement fermé y compris pour les ressortissants malgaches", confirme Didier Dillard, directeur général de la filiale de l'opérateur historique dédiée à la pose et à l'entretien des câbles sous-marins. L'entreprise rencontre également des difficultés pour relever son équipage français, plus d'une trentaine de marins, à bord de son navire de pose de câbles actuellement au large de Taïwan. "Beaucoup de pays d'Asie ne permettent pas les relèves de marins, c'est le cas de Taïwan", explique le dirigeant, qui cherche des solutions pour ramener ses marins en France, via le Japon ou la Corée éventuellement. Selon lui, ils sont tous partis sur la base du volontariat après avoir été testés négatifs au COVID-19.
"Les compagnies françaises mettent tout en oeuvre pour assurer les relèves dans les meilleurs conditions, mais sont souvent confrontées à des obstacles au niveau international liés à l'indisponibilité des vols, aux fermetures des frontières, à l'intransigeance de certaines autorités qui refusent les débarquements des marins dans leurs ports", résume l'organisation professionnelle Armateurs de France. "Chez certains armements ça se passe très bien, mais chez d'autres c'est loin d'être le cas", note Pierrick Samson, secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats maritimes (FNSM) CGT. "Des marins risquent de rester six mois voir plus à bord, certains vont péter un câble c'est sûr !" prévient-il.
AFP/VNA/CVN