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Des retraités profitent d'un repas de midi gratuit au café Dobrodomik, à Saint-Petersbourg, le 11 février 2019 |
Photo: AFP/VNA/CVN |
Ces dernières semaines, les trottoirs de la deuxième ville de Russie sont gelés et jalonnés de tas de neige de plusieurs mètres, compliquant les déplacements. Pourtant, le restaurant affiche toujours complet.
"Les prix montent tous les jours. Donc ce café c'est une très, très bonne idée", résume Rimma Antsiferova, 72 ans.
Elle touche une retraite mensuelle de 10.000 roubles, soit 135 euros. Après les impôts locaux et les médicaments, il ne lui reste qu'une quarantaine d'euros pour vivre. "Récemment, les prix du transport ont augmenté", ajoute-t-elle.
Dobrodomik a été ouvert cet hiver dans le centre de Saint-Pétersbourg par la femme d'affaires Alexandra Syniak et son mari Evgueni Gerchevitch pour "remercier les personnes âgées". Le soir, il fonctionne comme un restaurant normal mais entre midi et 16h00, près de 300 personnes âgées - des femmes en majorité - viennent de tous les coins de la ville pour manger chaud et se retrouver.
"Fardeau financier"
Après les progrès des années 2000, le pouvoir d'achat des Russes baisse sans discontinuer depuis cinq ans et la tendance se poursuit malgré la reprise économique suivant la récession de 2015-2016.
Au moment de sa réélection pour un quatrième mandat il y a un an, le président Vladimir Poutine a promis de diviser par deux la pauvreté qui ronge le pays. Mais peu après, son gouvernement a annoncé une hausse de la TVA et un relèvement de l'âge de la retraite, très mal vécu alors que les personnes âgées vivent dans un grand dénuement.
"Jamais la situation n'a été aussi dure qu'aujourd'hui pour la population", observe l'économiste Igor Nikolaïev, directeur de l'Institut d'analyse stratégique FBK Grant Thornton. "Dans tous les domaines, le fardeau financier devient de plus en plus lourd".
Dans un pays où la pension de retraite moyenne est de moins de 200 euros, le désarroi se traduit dans les sondages.
Selon le centre indépendant Levada, 61% des Russes ont honte de "l'éternelle pauvreté et insécurité" de leur pays, contre 56% en 2015. La proportion de Russes pessimistes sur la situation de leur pays (45%) vient de dépasser celle des optimistes pour la première fois depuis fin 2013.
Stratosphérique ces dernières années, la cote de popularité de Vladimir Poutine, mesurée par le même organisme, est tombée en janvier à 64%, son plus bas niveau depuis l'annexion de la Crimée en 2014, contre 80% il y a un an.
Poutine débloque des aides
Une retraitée choisit de l'ail sur un marché à Moscou, le 26 février 2019. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
"Le mécontentement s'est installé en province", d'habitude plus loyale, note Lev Goudkov, directeur de Levada, "Il est lié au refus de l'État de fournir des garanties sociales, à la réduction des fonds destinés à la population pour mener des projets géopolitiques et à la chute des revenus réels".
Ces derniers ont diminué, selon lui, de 11% à 14% depuis 2014 et "l'euphorie" provoquée par l'annexion de la Crimée: "C'est douloureux pour les personnes ayant un revenu moyen".
Lors de son adresse au Parlement mi-février, Vladimir Poutine s'est inquiété de la pauvreté qui touche environ 19 millions de personnes et annoncé des aides sociales dépassant 1,3 milliard d'euros, promettant aux Russes une amélioration de leur situation "dès cette année".
Mais à court terme, les Russes voient surtout les prix, notamment ceux des produits alimentaires de base, déraper dans le sillage du passage de la TVA de 18% à 20% le 1er janvier.
L'inflation s'est accélérée à 5% sur un an en janvier et a même atteint 7,3% pour les fruits et légumes.
Au restaurant Dobrodomik de Saint-Pétersbourg, Galina Mikhalina montre les retraités qui profitent comme elle d'un repas gratuit: "Regardez, tous ces gens n'ont pas du tout l'air de marginaux".
Une femme âgée passe près d'un étal à viande, dans un marché à Moscou, le 26 février 2019. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
À 73 ans, cette ancienne ingénieure touche une pension mensuelle de 12.000 roubles, soit environ 160 euros. Elle a été récemment relevée de 1.000 roubles: "Merci, mais les prix augmentent deux-trois fois plus vite."
"C'est triste d'avoir travaillé toute sa vie et de devoir se réjouir de repas caritatifs", constate avec amertume la retraitée qui "hésite parfois à acheter du pain". "Notre génération a des complexes, je ne suis pas très à l'aise pour manger des repas caritatifs: je préfère offrir que prendre. Mais c'est la vie".