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Préparation |
Pour les voyageurs amateurs de grands espaces, la province montagneuse de Lào Cai est un lieu béni des Dieux, avec ses routes en lacets, ses chutes d’eau, ses rizières en terrasses partant à la conquête des pentes. Un univers minéral et végétal parcouru par des hommes et des femmes aux tenues colorées et au caractère bien trempé, façonné depuis des générations par une nature qui ne fait pas dans la demi-mesure.
Si vous choisissez de visiter ces lieux au début de l’année lunaire, vous aurez certes un peu froid, mais ce désagrément sera largement compensé par les découvertes que les habitants locaux vous réservent, en premier lieu la mystérieuse chasse aux fantômes des Phù La.
Enduire de suie de marmite
"Nous organisons cette cérémonie normalement à la fin du 2e mois lunaire. C’est l’une des manifestations festives les plus importantes de l’année pour les Phù La de Bac Hà. Elle nous garantit de bonnes récoltes, la paix, la prospérité et la santé pour l’année entière", informe Giàng Sin Sài, un chaman.
Le chaman et son petit plateau d'offrandes de forme carrée. |
La cérémonie se déroule dès l’aube. Des offrandes sont préparées : des bâtonnets d’encens, des tasses d’alcool, une liasse de papiers, un chien et deux poulets (l’un au plumage blanc et l’autre au plumage rouge). "D’abord, le chaman appelle l’empereur du ciel et le génie de la montagne pour leur demander s’il peut organiser la cérémonie de chasse aux fantômes qui errent dans le village. Ceux-ci doivent en sortir pour se diriger vers la forêt", révèle Giàng Sin Sai. Et d’ajouter que selon la conception des Phù La, "le chien et les deux poulets sont capables de chasser les fantômes".
Une fois l’autorisation reçue, la cérémonie peut débuter. Le chaman, un petit plateau en mains, et sa suite commencent le processus de chasse des fantômes. Chaque participant se munit d’une épée ou d’un couteau fabriqué à partir d’une plante cueillie en forêt. Ces objets sont considérés comme les outils indispensables pour "balayer les fantômes".
Chasse aux fantômes dans chaque maison. |
Ils entrent dans chaque maison. "Une particularité, c’est que nous enduisons de suie de marmite chaque épée et chaque couteau. La couleur noire est le symbole de la force qui empêche le retour des fantômes. Normalement, les hommes participants doivent être également enduisis de suie. Ainsi, les fantômes ne pourront pas voir les personnes qui les chassent", fait savoir Giàng Cui Phà, chef du hameau de Tà Chai, commune de Lùng Phinh.
À chaque foyer, le chaman réalise des prières et ses aides utilisent épées et couteaux pour "balayer les fantômes" en dansant et en imitant le hennissement du cheval.
Enfoncer les épées dans la terre en vue d'empêcher le retour des fantômes. |
Une fois la cérémonie terminée dans la dernière famille, la procession se dirige vers la forêt. Là-bas, encore une fois, le chaman fait le culte, les membres enfonçant leurs épées dans la terre. "Avec cette action, nous construisons une barrière empêchant le retour des fantômes", partage Giàng Seo Phùng, un Phù La dans la commune de Tà Chai. Les habitants locaux considèrent cette cérémonie comme une rencontre festive. À la fin de la "chasse", les villageois consomment un festin. "Les deux poulets et le chien sont les plats essentiels, mais nous en préparons aussi quelques autres", continue Giàng Seo Phùng.
La cérémonie de chasse des fantômes provoque des émotions inattendues chez les touristes. "C’est la première fois que j’assiste à une telle scène. Quel spectacle ! Je trouve cette fête magnifique, mystérieuse et puissante", confie Dô Duc, de Hanoï. "Dès le début, je me suis senti bien. C’est grâce à l’atmosphère qui se dégage de cette région montagneuse. J’ai compris la force de cette cérémonie païenne d’où les montagnards tirent leur énergie", remarque Henry Éric, un Français.
Une cérémonie très protocolaire
La plupart des participants sont des hommes de différents âges. Les femmes sont chargées de préparer les offrandes. "La cérémonie ne se déroule qu’une seule fois par an. Alors, nous devons bien sélectionner le chaman qui doit être un membre de notre ethnie, auréolé d’un certain prestige et, surtout, qui a pratiqué toute sa vie ce culte", indique Giàng Cui Phà.
Les habitants de Phù La à Bac Hà sont convaincus que si ce culte est bien réalisé, alors la présence ou le retour des fantômes seront empêchés. "Nous attendons avec impatience cette cérémonie. C’est aussi l’occasion pour nous de nous rencontrer, de préparer ensemble des objets pour les rituels et de festoyer joyeusement", dit Giàng Seo Mây, de la commune de Tà Chai.
Une expérience communautaire qui traduit la foi des Phù La en les énergies et esprits de la nature.