La bande dessinée se développe au Vietnam depuis une vingtaine d'années, avec l'apparition en 1992 du fameux chat-robot Doraemon qui s'est, au fil du temps, fait une place de choix dans le cœur de nombreux enfants. Il en va de même pour l'auteur Hùng Lân et sa création Dung si Hesman (Valeureux soldat Hesman), inspirée d'un dessin animé japonais. Des noms récurrents dans la bouche des adeptes de la BD vietnamienne des années 1990. En deux ans, le dessinateur Hùng Lân a créé près de 200 tomes de Dung si Hesman, dont le tirage à un moment donné atteint les 180.000 exemplaires par tome. Une vingtaine d'années après, l'histoire de ce fameux combattant reste ancrée dans les souvenirs d'enfance de nombreux bédéphiles.
Difficulté du métier
"Étant un art qui s'inscrit entre littérature et cinéma, la BD est très attrayante, notamment auprès du jeune public", d'après Nguyên Tri Công, chef du Service de la bande dessinée de la Maison d'édition Tre (Jeunesse). Au Vietnam, où la population est jeune, le marché de la BD revêt un fort potentiel. Toutefois, notre pays manque des éléments nécessaires pour développer cet art si spécifique. Tout d'abord, les dessinateurs de BD se font rares, faute d'écoles de formation spécialisées.
"Le manque de professionnalisme des créateurs de BD est une autre difficulté", déclare Vuong Quôc Thinh, directeur d'Art Sign, jeune compagnie qui se penche particulièrement sur la recherche de l'identité de la BD nationale. Il déplore le retard chronique de remise des créations et la faible productivité du travail des auteurs vietnamiens. "Chez Art Sign, tandis qu'un dessinateur étranger peut achever 15 pages de dessins par jour, son collègue vietnamien ne donnera que cinq pages maximum dans le même laps de temps", indique le directeur Vuong Quôc Thinh. La création d'une BD exige un travail en équipe, une autre lacune des Vietnamiens, surtout des jeunes.
"Un autre problème réside dans la maigre rémunération versée aux dessinateurs", estime le chef du Service de la BD de la Maison d'édition Tre, Nguyên Tri Công. Pour preuve, l'auteur d'un scénario de 32 pages ne reçoit que 1,5 million de dôngs et le dessinateur, cinq millions (les outils de travail comme pinceaux et encres sont à la charge du dessinateur). Le profit engendré par la production de BD étant faible, les honoraires d'auteur le sont aussi. Les dessinateurs finissent par changer de métier.
Par ailleurs, il existe un "cercle vicieux entre l'investissement des éditeurs et la matière grise des créateurs, qui reste le problème majeur de la BD vietnamienne", souligne le dessinateur Hùng Lân, auteur de la fameuse collection Dung si Hesman. Les œuvres en elles-mêmes sont souvent dénuées de quelconque intérêt. Ainsi, les lecteurs ne se bousculent pas et la publication aboutit à des pertes, voire à la faillite pure et simple. Outre ces difficultés, les éditeurs nationaux, dont Kim Dông (spécialisé dans la publication de livres enfantins) et Tre, font souvent face au phénomène des livres de contrebande.
Récemment, la Maison d'édition Tre a essuyé de lourdes pertes avec l'affaire de trois collections de BD. Elle a en effet versé quelque 500 millions de dôngs pour l'exclusivité des droits d'auteur, mais avant même leur publication, les ouvrages étaient déjà disponibles sur le marché...
Recherche identitaire
La BD vietnamienne manque d'une identité qui lui est propre. C'est la remarque émise par la majorité des jeunes lecteurs. Ils se plaignent du contenu des BD vietnamiennes, pas assez captivant à leur goût, mais aussi des dessins, trop rudimentaires et influencés par le manga japonais. De plus, peu d'éléments de la culture vietnamienne apparaissent dans les œuvres. Pour preuve, tandis que le kimono apparaît très souvent dans les mangas, les dessinateurs vietnamiens n'introduisent que rarement l'ao dài dans leur création.
À tout cela, s'ajoute la dépréciation de la plupart des Vietnamiens vis-à-vis de la BD qui est bien souvent considérée comme un loisir destiné qu'aux enfants.
Malgré ces difficultés, plusieurs maisons d'édition ont fait depuis quelques années beaucoup d'efforts pour répondre à la demande des fans de BD nationaux. La société Phan Thi a sorti Dâu ân Lac Hông (Cachet national), une collection inspirée de l'histoire nationale, et notamment Thân dông dât Viêt (Enfant doué de la terre vietnamienne), considéré comme le best-seller du pays en matière de BD. En effet, le nombre d'exemplaires de Thân dông dât Viêt a dépassé de nombreux mangas célèbres d'origine japonaise, avec 127 tomes publiés et un tirage de 20.000 exemplaires par tome.
La compagnie Art Sign et son jeune personnel cherchent à façonner l'identité de la BD vietnamienne. Art Sign a impressionné les lecteurs avec Truyên cô tich Viêt Nam (Contes du Vietnam, 60 tomes), et Truyên cô tich thê gioi (Contes du monde), 40 tomes. Elle a adapté les livres pour adolescents de Nguyên Nhât Anh en BD : Nu sinh (Étudiante), Truoc vong chung kêt (Avant la finale), Bô câu không dua thu (Le pigeon qui ne livre pas de lettre)…
Les éditeurs cherchent à puiser dans le trésor abondant de la littérature populaire nationale. La Maison d'édition Kim Dông a invité les écrivains et dessinateurs réputés à créer des BD inspirées des contes populaires du Vietnam. Les personnalités historiques qui sont entrées dans les légendes du peuple ont également été transformées en personnages de BD. Ainsi, Kim Dông a publié le portrait de 16 personnalités historiques en BD. Récemment, cet éditeur a sorti une collection de 15 livres sur des héros du Sud.
Les efforts déployés par les éditeurs pour développer la BD au Vietnam font briller une nouvelle lueur d'espoir pour les créateurs et les fans de cet art. Pour que la chrysalide puisse enfin sortir de son cocon et déployer ses ailes...
Xuân Dông/CVN
(26/11/2010)