IPEF : une nouvelle voie à suivre pour le Vietnam

En devenant l'un des 14 membres fondateurs du Cadre économique indo-pacifique pour la prospérité (IPEF) lancé par le président américain Joe Biden en mai 2022, le Vietnam a montré au monde ses ambitions de poursuivre au-delà de la simple économie des gains tels qu’un accès plus large au marché et des tarifs réduits.

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Gemalink, le plus grand port en eau profonde du Vietnam. 
Photo : VNA/CVN

Rejoindre l'IPEF, le nouveau cadre de coopération économique de haut niveau avec la participation de puissances fortes comme les États-Unis et d'autres pays de l'Indo-Pacifique, pourrait aider le Vietnam à surmonter de nombreux défis posés par le ralentissement de l'économie mondiale, a déclaré Carl Thayer, professeur émérite à l'Université de la Nouvelle-Galles du Sud (Canberra).

"Le Vietnam courra le risque d’être à la traîne s’il ne saisit pas l’opportunité de rejoindre l’IPEF et de renforcer ses capacités, en particulier dans le contexte de quatrième révolution industrielle, d’économie numérique et d’évolution des chaînes d’approvisionnement", souligne Carl Thayer.

En outre, la coopération avec les États-Unis pourrait potentiellement faciliter ou contribuer à l'obtention de son statut d'économie de marché, qu'il n'a pas encore obtenu. L'IPEF serait donc une aubaine fantastique pour les produits vietnamiens, les rendant encore plus abordables pour entrer sur le marché américain, selon Carl Thayer.

Le professeur Stephen Nagy de l’Université chrétienne internationale (Tokyo) partage le point de vue de Carl Thayer et souligne également l’importance de l’IPEF dans le renforcement de l’intégration intra-ASEAN puisque Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande sont déjà signataires de ce cadre. Outre l’augmentation des échanges commerciaux entre les États membres de l’ASEAN et la promotion du partage de normes en matière d’engagement commercial et économique au sein du bloc, l’IPEF pourrait aider le Vietnam à résoudre de nombreux problèmes émergents tels que le changement climatique, la résilience de la chaîne d’approvisionnement, la transition vers les énergies propres et même la lutte contre le changement climatique et la corruption.

Le président vietnamien Vo Van Thuong (centre) au Dialogue entre les dirigeants économiques de l'APEC et les invités, en novembre 2023. 
Photo : VNA/CVN

En novembre 2023 à San Francisco, le président Vo Van Thuong a clairement indiqué dans son discours lors de la séance de discussion du dialogue de l'APEC que le Vietnam considérait la réponse au changement climatique comme une priorité absolue de sa politique de développement national et qu'il était fermement engagé en faveur de zéro émission nette d'ici 2050, de protection des forêts et de transition énergétique propre.

Les quatre piliers clés de l’IPEF correspondent parfaitement aux ambitions du Vietnam.

Le pilier économie propre de l'IPEF, avec la participation de deux puissances de technologies vertes que sont les États-Unis et le Japon, est apparu très attrayant pour le Vietnam car il l'aidera à accélérer sa transition verte pour établir une économie plus durable, plus efficace et plus résiliente sur le plan environnemental, étant donné le pays est très vulnérable au changement climatique, sa région la plus durement touchée étant le delta du Mékong, souligne le professeur Stephen Nagy.

Selon la Banque mondiale, sans mesures d’atténuation adéquates, le Vietnam pourrait subir d’importantes pertes économiques en raison du changement climatique. D’ici 2050, le pays pourrait connaître une perte annuelle d’environ 12 à 14,5% de son PIB, tandis que jusqu’à un million d’individus pourraient être exposés à l’extrême pauvreté d’ici 2030.

En outre, l’adhésion à l’IPEF créera une plate-forme pour une coopération plus approfondie entre les signataires, ce qui signifie qu’elle offrira des opportunités au Vietnam en tant que centre manufacturier dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Amitendu Palit, chercheur principal à l'Institut d'études sud-asiatiques de l'Université nationale de Singapour, affirme que le Vietnam est devenu une destination très attractive pour les entreprises opérant dans la région Indo-Pacifique, en particulier celles des pays membres de l'IPEF, qui le considèrent comme un emplacement favorable pour développer leurs chaînes d’approvisionnement.

"La capacité du Vietnam à fournir une main-d’œuvre qualifiée pour des opérations industrielles spécifiques, une atmosphère favorable aux investisseurs et de bonnes relations extérieures peuvent en faire un endroit très important pour la réorganisation des chaînes d’approvisionnement critiques au sein de l’IPEF", estime Amitendu Palit.

Le Professeur Carl Thayer.
Photo : VNA/CVN

Selon le professeur Carl Thayer, l'engagement dans l'IPEF ouvre également la possibilité au Vietnam de progresser au-delà de son rôle actuel d'assemblage et de conditionnement de puces informatiques en semi-conducteurs. Au cours de la prochaine décennie, le Vietnam pourrait devenir un innovateur et un leader dans la conception et la valeur ajoutée des puces informatiques.

Grâce à l'IPEF, le Vietnam peut accéder à l'expertise, à la technologie, à la formation et aux cadres juridiques, ce qui contribuera au renforcement de ses compétences et capacités technologiques.

Concernant le pilier de l’économie équitable de l’IPEF, il créera des conditions de concurrence équitables pour promouvoir la transparence et une concurrence équitable. Cet aspect facilitera l’augmentation des investissements et améliorera la compétitivité des participants.

Trân Thi Thuy Linh, conférencière à l'Académie diplomatique du Vietnam, qui a effectué des recherches approfondies sur l'IPEF, a déclaré que s'engager dans le pilier de l'économie équitable de l'IPEF pourrait offrir au Vietnam des opportunités d'amélioration de la transparence, d'échange d'informations, de renforcement des capacités et d'assistance technique, étant donné que le pays a longtemps lutté pour créer un système fiscal efficace et des mécanismes anti-corruption.

En fait, le Vietnam a fait des progrès significatifs dans la lutte contre la corruption grâce à une forte détermination politique. Mais les experts reconnaissent qu’il reste encore beaucoup à faire. Cela nécessite du temps et des efforts supplémentaires pour mettre en œuvre des réformes globales, renforcer les cadres réglementaires, améliorer la gouvernance de haut en bas et promouvoir des conditions d'une concurrence équitables pour les entreprises.

IPEF : tracer la voie à suivre

En résumé, le cadre économique dirigé par les États-Unis vise à créer un mécanisme garantissant un environnement partagé de haut niveau et favorisant les avantages mutuels pour tous les membres. Mais les experts préviennent les pays intéressés que rejoindre l'IPEF équivaut à "plonger dans un océan où les nageurs doivent être suffisamment forts pour survivre". Pour prospérer dans l’économie mondiale, la force et la résilience sont vitales pour tous les participants, et le Vietnam ne fait pas exception.

Phan Cao Nhât Anh, directeur général adjoint de l'Institut vietnamien d'études sur l'Inde et l'Asie du Sud-Ouest (VIISAS) de l'Académie vietnamienne des sciences sociales (VASS), affirme que l'engagement du Vietnam dans les négociations de l'IPEF vise à mobiliser des ressources nationales et étrangères optimales pour la construction nationale et le développement, mais le pays doit faire preuve de prudence pour garantir que ce nouvel engagement soit conforme aux intérêts nationaux et à une stratégie de développement globale.

Selon Cao Nhât Anh, de nombreux progrès ont été réalisés jusqu'à présent dans le cadre économique dirigé par les États-Unis, avec des négociations achevées sur trois piliers que sont la chaîne d'approvisionnement, l'économie propre et l'économie équitable. Cependant, un certain nombre de questions restent en suspens en matière de commerce telles que les différents intérêts des économies qui nécessitent des efforts plus actifs pour parvenir à un consensus.

Il sera également difficile de parvenir à un consensus avec les partenaires de l’IPEF si le Vietnam fixe des normes peu strictes en matière d’environnement et de travail. "Il est crucial que le Vietnam poursuive ses efforts pour améliorer la qualité du travail et affiner les cadres réglementaires et institutionnels relatifs au commerce numérique", déclare Cao Nhât Anh.

Des normes plus élevées augmenteront les coûts pour les entreprises.
Photo : VNA/CVN

Concernant le pilier commercial de l'IPEF, le professeur Thayer affirme qu'il contient de nombreuses questions en suspens, notamment les normes du travail, les normes environnementales et les questions de conformité, sans parler de la question sensible de la détermination de la marche à suivre si un membre ne respecte pas ses engagements.

Il affirme que les normes du travail et environnementales sont soumises à un accord mutuel. Cela implique un compromis pour le bénéfice mutuel. Étant donné que l’IPEF n’est pas un accord de libre-échange multilatéral et que les États-Unis n’offrent pas d’accès au marché, les États-Unis devront proposer des programmes attractifs de formation, de renforcement des capacités, d’assistance technique et d’investissement dans les infrastructures pour inciter des pays comme le Vietnam à couvrir les coûts de la réglementation nationale.

Carl Thayer suggère au Vietnam d’adopter une politique attentiste tout en négociant avec d’autres membres de l’IPEF pour obtenir des éclaircissements de la part des États-Unis sur la manière dont les pays en développement seront indemnisés pour les coûts liés au respect de normes élevées en matière de travail et d’environnement.

"Le principal problème pour le Vietnam est d'accroître l'accès au marché américain, soit bilatéralement, soit via l'IPEF, car les États-Unis ne sont pas membres du CPTPP ou du RCEP", note Carl Thayer.

Trân Thi Bich, chercheur associé au Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington, D.C., est d'accord sur ce point, affirmant qu'il est difficile pour les pays de négocier le pilier commercial car ils ont des priorités et des capacités diverses.

"Des normes plus élevées augmenteront les coûts pour les entreprises. En outre, sans accès au marché américain, de nombreux pays ne voient pas l’intérêt de se conformer à ces normes", souligne Trân Thi Bich.

Elle recommande au Vietnam de se retirer du pilier commercial mais de rejoindre les trois autres, ou d'envisager des normes de travail et d'environnement plus élevées requises dans le cadre du pilier commercial comme moyen d'attirer les investissements futurs et de rejoindre pleinement le cadre.

Alors que l'IPEF continue d'évoluer, il est grand temps que le Vietnam étudie en profondeur le nouveau mécanisme, consulte et partage des informations avec les pays concernés afin de faciliter le processus de négociation et d'accélérer la formation d'un cadre qui apportera des avantages concrets à sa population et contribuera à la paix, à la stabilité et à la prospérité dans la région et dans le monde.

VNA/CVN

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