Ici, l’étranger est remarqué... ou remarquable. |
Photo: Gérard Bonnafont/CVN |
Quand je parle d’intérêt, il s’agit véritablement de bienveillance, pas de rejet ou de mépris. Ailleurs, être l’étranger, l’immigré est souvent considéré comme une vile condition. Il n’est pas d’ici, qu’est-ce qu’il vient faire là? On a tellement peur de ce que l’on ne connaît pas, ou de ceux que l’on ne connaît pas.
Depuis que je vis au Vietnam, rien de tout cela. Étranger je suis, invité je suis…
Amicale salutation
Demain, ils repartent dans leur pays, ce soir, je les invite à dîner dans ce grand restaurant en plein air, sur les rives du lac de l’Ouest, à Hanoï. Mes amis sont subjugués par l’atmosphère irréelle du lieu. Après avoir franchi un pont couvert et traversé une forêt de colonnes impériales rouge et or, nous sommes installés au bord d’un petit étang couvert de lotus. Des centaines de convives circulent entre les immenses buffets dressés de-ci de-là: grillades, hors-d’œuvre, phở (souple de nouilles à la viande de bœuf ou de poulet) et bún (vermicelle de riz) divers, plats cuisinés, crèmes et desserts…
De voir cet étalage de mets tout autant appétissants les uns que les autres me donne l’impression d’être déjà rassasié! Tandis que mon épouse et ma fille servent de guides culinaires à mes amis, je suis préposé à la garde des sacs à main de ces dames. Garde que je monte de façon nonchalante, confiant que je suis dans la sécurité du lieu comme dans beaucoup d’autres au Vietnam!
En rêvassant, j’observe le ballet incessant des serveuses qui prêtent mille attentions à remplir les verres et retirer les assiettes vides. L’une d’elle justement s’approche de moi. Commande de boisson oblige. "Chào chú! Vợ chú đâu?" (Bonjour oncle, votre femme est où?). Surprise! Comment cette jeune fille que je n’ai jamais vue peut-elle être informée de ma vie privée? Et pourquoi ce salut plutôt sympathique, mais familier, alors qu’en d’autres temps, elle aurait pu me dire "Chào ông" (Bonjour monsieur)?
Abasourdi, je lui réponds, conformément aux règles de politesse vietnamienne: "Chào cháu", et je m’empresse de répondre à sa question par une autre: "Tại sao cháu biết vợ chú?" (Pourquoi connais-tu ma femme?).
Un grand sourire et la charmante personne me précise qu’elle m’a déjà vu manger ici, en compagnie de ma femme et de ma fille, et qu’elle est surprise de ne pas la voir à mes côtés maintenant.
Sur ces mots, comme par magie, les intéressées surgissent, mains encombrées de gourmandises salées et sucrées. Aussitôt (mais devrais-je dire que j’ai l’habitude) la conversation s’engage entre Vietnamiennes, comme si elles étaient de vieilles connaissances. Conversation dont je suis rapidement le centre!
Et si je n’avais été remarqué que par une seule serveuse, j’aurais pu mettre cela sur une marque particulière d’intérêt pour ma personne; hypothèse sans doute séduisante, mais extrêmement dangereuse avec mon épouse dans les parages!
Mais lorsque j’entreprends, à mon tour, l’expédition aux buffets, je suis interrompu au moins dix fois dans ma quête gastronomique par des salutations cordiales qui s’enquièrent de ma santé et de celle de ma famille. J’ai beau observer et tendre l’oreille. Je suis le seul à avoir droit à ces attentions.
Des touristes étrangers visitent le marché flottant Cai Rang, à Cân Tho (Sud). |
Photo: An Hiêu/VNA/CVN |
Respect mutuel
Loin d’en tirer fierté et plutôt que de me rengorger comme un paon, c’est en faisant profil bas et en rasant les murs que je regagne ma table. Entre deux bouchées, je m’informe auprès de ma femme sur la cause de cette popularité. Aurions-nous payé trois fois le prix habituel, lors de notre dernière incursion en cet endroit? La vision de nos hôtes serait-elle tant déformée qu’en me voyant, ils verraient un top modèle?
La raison est simplissime: je suis étranger et je parle vietnamien! Deux caractéristiques qui, réunies, suffisent à me faire remarquer… Des étrangers, entre les touristes, les expatriés et les immigrés, il y a de fortes chances d’en rencontrer au Vietnam. Ils sont de moins en moins sujet de curiosité, force de l’habitude étant. Mais ils sont toujours aussi remarquables. Difficile de ne pas les reconnaître! Même de dos, on peut nous identifier, tellement notre allure, notre démarche, notre façon de nous tenir, paraissent pataudes au regard de la grâce et de la fluidité du Vietnamien.
Respecter,
c’est ne pas faire perdre
la face. C’est comprendre, savoir vivre…
Et respecter,
c’est être respecté.
Autre sujet de distinction, notre manque évident de culture! Tout, dans notre façon de parler, de nous comporter, de poser des questions ou d’y répondre, montre combien nous sommes loin de la subtilité des échanges à la vietnamienne et des règles de bienséance… Alors, forcément, éléphant dans un magasin de porcelaine, nous sommes facilement identifiables. Mais rassurez-vous, cette différence ne se manifeste pas par un rejet comme ce pourrait être le cas ailleurs! Non, ici, il s’agit d’un intérêt spontané, voire même parfois d’admiration pour nos longs nez ou notre peau si blanche.
Principe de base universel: on apprécie souvent ce que l’on ne possède pas! Mais, si être étranger est déjà remarquable en soi, parler le vietnamien en rajoute encore.
D’abord, parce que c’est une merveilleuse occasion de se tenir les côtes de rire en voyant les efforts pathétiques de ces gosiers formés à l’articulation pour prononcer les tons et les phonèmes de cette langue mélodieuse. Ensuite, parce que ça dénote un grand respect de l’étranger pour le pays dans lequel il vit, même provisoirement. Et le grand mot est prononcé: respect. Plus que partout ailleurs, ici, le respect est une notion sacrée.
Respecter, c’est ne pas faire perdre la face. C’est comprendre, savoir vivre… Et respecter, c’est être respecté. La plus belle marque de respect étant de vous remarquer et de s’intéresser à vous. Voilà pourquoi, même au milieu de centaines de personnes, même si je n’ai croisé qu’une seule fois une personne, toujours on me manifeste cette marque de respect en me posant des questions qu’en d’autres lieux, nous les Occidentaux, nous pourrions considérer comme de la curiosité.
Finalement, c’est si facile de faire un pas l’un vers l’autre!
Gérard Bonnafont/CVN