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Le Professeur Ly Chanh Trung en 2011. |
Ly Chanh Trung, né en 1928 à Trà Vinh, a embrassé la religion catholique vers 1949. Après ses études universitaires (psychologie, sciences politiques), il a travaillé au ministère de l’Éducation de la République du Vietnam (Sud Vietnam pro-américain). Patriote sans parti, il a fait preuve d’une grande indépendance d’esprit. Après la réunification nationale en 1975, il a été élu membre du présidium du Front de la Patrie et a été plusieurs fois à l’Assemblée nationale.
Professeur de philosophie, Trung voit la politique à travers le prisme philosophique, comme en témoignent ses œuvres en vietnamien : Révolution et morale (1966), Retour à la nation (1967), Connaissance des États-Unis (1969), Religion et nation (1973). Nous traduisons ci-dessous un extrait de l’article écrit par Ly Chanh Trung sur Hô Chi Minh traduit du vietnamien en 1969 (Source : Éditions de la Police populaire, en 2005).
Le 2 septembre 1945, jour historique
De Hô Chi Minh, je ne sais pas grand-chose : quelques articles, bouquins et portraits, surtout de provenance occidentale. Je n’ai jamais entendu sa voix, chose essentielle d’après moi pour la compréhension minimum d’un personnage. Le 2 septembre 1945 (Jour de la proclamation de l’indépendance du Vietnam par Hô Chi Minh, ndlr), on avait organisé dans ma province un grand meeting où il était prévu d’écouter Hô Chi Minh s’adresser au peuple sur les ondes de la Radio Hanoi. À la dernière minute, notre radio en panne n’a pu transmettre le message. Depuis, je n’ai pas eu l’occasion d’entendre la voix de Hô, et maintenant qu’il est parti, l’occasion ne se présentera plus pour moi en ce monde.
Objectivement, nous sommes séparés par un grand écart : l’âge, la localité, les circonstances historiques, surtout le talent et l’idéologie. Il était un grand leader du mouvement communiste international et du Parti des travailleurs du Vietnam. Il a fait l’histoire au cours des dernières cinquante années, non seulement l’histoire du Vietnam mais encore celle du monde. Je ne suis qu’un simple citoyen, un catholique vietnamien qui, jusqu’à ce jour, n’a écrit aucun mot dans l’histoire du Vietnam en marche.
Le Président Hô Chi Minh a proclamé le 2 septembre 1945 la Déclaration de l’Indépendance du pays à la Place de Ba Dinh, Hanoi. |
Hô Chi Minh est un grand homme, tout le monde le reconnaît, amis ou ennemis, qu’on couvre de louanges ou de blâme l’œuvre qu’il a édifié avec ses mains nues. Je ne suis qu’un homme ordinaire. Entre hommes ordinaires, la connaissance mutuelle s’avère infiniment difficile, et en fait, se base toujours sur des méprises.
À plus forte raison, la connaissance d’un homme ordinaire concernant un grand homme. Un grand homme a toujours une personnalité, une vie riche et extraordinaire dont on ne perçoit que quelques aspects, ceux qui cadrent avec dimensions et aspirations. Depuis son décès, d’innombrables articles de journal écrivent sur lui, et jusqu’à la fin du siècle, encore d’autres articles et livres. Chaque écrit traite d’un Hô Chi Minh particulier. Quant au véritable Hô Chi Minh, personne ne le sait sauf Hô lui-même et mon Dieu auquel il ne croit guère.
À cause des raisons sus-citées, quand j’écris cet article le jour de son décès, je pense que je n’ai ni capacité ni qualification pour émettre un jugement sur Hô Chi Minh, admiration, blâme ou critique sans parti pris. D’autant plus que d’autres l’ont fait. Je voudrais seulement exprimer les sentiments et pensées que son image a marqué ma vie, histoire de parler en toute intimité une première et une dernière fois avec quelqu’un de l’autre monde. Par le coup de force de mars 1945, les Japonais occupant le Vietnam liquidèrent l’administration coloniale français et firent proclamer l’indépendance du Vietnam par l’empereur Bao Dai. Le gouvernement Trân Trong Kim vit le jour.
Un tournant pour le pays
Pour moi, la conséquence unique de ces événements spectaculaires est de pouvoir faire ma valise avec plaisir afin de quitter mon école «Providence» à Huê et de regagner ma province natale avec la perspective de vacances sans fin. Dans ma petite et douce province de Trà Vinh, les seuls changements qui surviennent après cette journée baptisée Journée de l’indépendance sont le remplacement d’un administrateur français au siège de la Résidence par un chef de province «annamite», d’un commissaire de police français par un agent «annamite», du tricolore français par le drapeau jaune royal.
Nguyên Ai Quôc (debout) au XVIIIe Congrès du Parti socialiste français à Tours en décembre 1920. |
Le chef de province ne sort jamais de son palais comme son homologue français ; le commissaire vietnamien fait le tour du marché comme son homologue français, mais on a moins peur de lui, ce qui fait que le marché et les rues connaissent moins de propreté et d’ordre. La vie mène son train ordinaire : les pauvres continuent à trimer dur, les riches à faire fête, et nous les élèves à jouir des plaisirs vacanciers, faire des excursions, dévorer des romans de cape et d’épée, chants et musique, sport et naturellement flirts.
Nous savons vaguement que le pays est à un tournant et que nombre d’événements importants se déroulent. Mais c’est l’affaire des grandes personnes, des messieurs, ce n’est pas celle des gosses que nous sommes. On ne nous dit rien. Personne ne prend la peine de nous dire ce que nous devons faire.
Cérémonie en l’honneur de la Patrie (retrouvée)
Je me rappelle ce que je vois un matin quand je passe près du marché : le spectacle de soldats se déployant parmi de nombreux drapeaux m’incite à m’arrêter par curiosité. Devant le marché est dressé un grand autel où brûle l’encens cultuel, sur un échafaudage au-dessous duquel le chef de province, d’autres mandarins et personnalités, en robe et turban de cérémonie, se prosternent frénétiquement dans le tintamarre de cymbales et de tamtams. Un agent de la garde me fait savoir qu’il s’agit d’une cérémonie en l’honneur de la Patrie (retrouvée).
Quelques vieilles femmes allant au marché, n’osant pas interroger les policiers, devisent à voix basse entre elles. L’une prétend qu’il s’agit d’un sacrifice au ciel, l’autre que c’est pour chasser les effluves néfastes, nouvelle manière. La cérémonie terminée, les mandarins s’en vont, me donnant l’impression que la Patrie est la leur, non celle du peuple et à plus forte raison celle de nous autres gosses.
Lors d’une visite d’État en juin 2013, le président du Parlement d’El Salvador, Sigfrido Reyes (2e, à droite), est venu visiter le Musée de Hô Chi Minh dans la mégapole du Sud. |
La vraie rénovation politique ne commence qu’avec la fondation des Jeunesses d’avant-garde (Thanh niên tiên phong). Pour la première fois, une grande personne lance un appel à nous les jeunes. Nous répondons promptement et spontanément à cet appel. Nous n’avons pas d’organisateurs attitrés, mais en l’espace d’un jour apparaissent d’innombrables drapeaux, slogans, insignes. En matière d’armes, des piques en bambou pointu sont prêtes pour le combat. Les jeunes se regroupent pour les exercices militaires, pour assurer la sécurité publique, enseigner l’alphabet aux adultes illettrés.
Pour la première fois, nous nous sentons responsables du sort de notre petite province et même de celle de notre pays. Les Jeunesses d’avant-garde ne sont pas la création des grands messieurs cités plus haut. C’est à cette époque d’éveil politique que nous avons entendu parler d’une certaine organisation Viêt minh soutenue par les Alliés et d’un certain révolutionnaire du nom de Nguyên Ai Quôc qui, depuis des dizaines d’années, a combattu clandestinement à l’étranger pour l’indépendance du pays. Le Viêt Minh (Front des alliés pour l’indépendance du Vietnam, ndlr) n’a rien d’attrayant. Mais Nguyên Ai Quôc, avec sa vie mouvementée, frappe notre imagination et conquiert nos cœurs.
Grands changements
La Révolution d’Août 1945 éclate. Tout change en une nuit : le drapeau rouge remplace le drapeau royal jaune, le mandarin chef de province cède la place à un Comité administratif dirigé par un étudiant en médecine. Nous nous transformons en membres de la Jeunesse pour le salut national. Pour la première fois, le nom et le portrait de Hô Chi Minh font leur apparition.
Aucun d’entre nous ne sait qui est Hô Chi Minh, mais tout le monde pense qu’il ne peut être que Nguyên Ai Quôc. On ne sait qui est Nguyên Ai Quôc, mais on pense qu’il ne peut être qu’un patriote. Et nous l’acceptons tout de suite, non sous l’effet de la propagande alors rudimentaire, mais parce que nous avons soif de rénovation, une soif vague mais Hô est l’incarnation de cette rénovation. Nous sommes à la recherche d’une idole, Hô apparaît comme l’homme répondant aux dimensions de nos rêves. Nous sommes en quête d’un leader et, dès la première vue du portrait de Hô Chi Minh, nous avons senti qu’il est par excellence le leader que nous cherchons.
Huu Ngoc/CVN
Note : Intertitres donnés par la rédaction pour faciliter la lecture.