Hanoi-Hô Chi Minh-Ville : une liaison aérienne qui divise

Si tout le monde est d'accord sur l'efficacité et l'utilité d'une ligne aérienne directe, scientifiques et professionnels sont divisés quant au trajet proposé par l'ancien pilote militaire Mai Trong Tuân. Efficience économique, rapport gain-perte, durée et sécurité de vol, aspects de défense nationale…, il y a matière à débattre.

Mai Trong Tuân, fort de son expérience d'ancien pilote militaire et de ligne, a tracé une ligne droite reliant Hanoi à Hô Chi Minh-Ville suivant la longitude de 106° Est, avec une distance d'environ 1.000 km. Il en déduit que "sa" route est plus courte de quelques 142 km par rapport à l'actuelle ligne.

Réduire la distance entraînera une diminution de la consommation de carburants de 5.000 litres par vol, de la durée de vol de 25 minutes, d'où un billet moins cher de 16% et une meilleure compétitivité au profit des clients, selon M. Tuân. Et les frais d'approvisionnement en carburants, de location d'avions et de pilotes également… Le ciel du Vietnam, du Laos et du Cambodge est d'autant plus sécurisé et une ressource naturelle inestimable qu'on ne trouve pas ailleurs, ajoute-t-il.

Bùi Van Vo, chef du Service de gestion des vols du Département de l'aviation civile du Vietnam, réplique qu'en réalité, il y aurait 1.160 km à vol d'oiseau et 1.302 km pour la ligne en exploitation. Le directeur adjoint du Département de l'aviation civile, Lai Xuân Thanh, observe de son côté que le nombre de kilomètres en moins est insignifiant, la ligne en service étant de 142 km plus longue que celle (1.208 km) proposée par Mai Trong Tuân.

Le Département de l'aviation civile, le ministère de la Défense et les organismes compétents ont étudié 2 solutions, celle d'une ligne droite entre l'aéroport de Nôi Bài et celui de Tân Son Nhât, et celle d'une ligne optimale suivant la longitude de 106° Est. Les 2 aboutissent à une réduction de la distance, la première de 60 km et la seconde de 40 km, que celle en service. Et dans les 2 cas, la route serait d'au moins de 1.240 km du fait de l'obligation pour les avions de faire un détour de 40-60 km pour l'atterrissage et le décollage. En d'autres termes, un itinéraire de 1.000 km tel que le propose l'ancien pilote Mai Trong Tuân n'est pas possible en réalité, selon ce département.

Pour les 2 trajets corrigés, Trân Van Kiêm, de la compagnie nationale Vietnam Airlines, estime à 2,5 minutes l'économie de temps, mais par contre à une augmentation moyenne de 460 dollars par trajet en taxe de survol des territoires lao et cambodgien. Quant à M. Tuân, qui a piloté pendant de longues années des avions de fabrications russe et américaine d'anciennes générations, il affirme réaliser 10 minutes de vol en moins avec "sa" route.

Le 6 décembre 2009, partisans et détracteurs du projet, réunis pour la seconde fois à la demande du gouvernement, n'ont pu s'accorder encore sur la réalité d'un tel trajet après plus de 10 heures d'intenses débats au sein du colloque organisé par l'Association vietnamienne des sciences économiques.

L'ancien pilote Mai Trong Tuân reste sur ses positions. Cent quarante deux kilomètres de moins, c'est 12 minutes de vol en moins ou quelque 1.500 litres de kérosène économisé par vol (soit près de 30 millions de dôngs/vol et 550 milliards de dôngs/an), et un aller simple à 1,53 million de dôngs au lieu de 1,7 million comme aujourd'hui. Du point de vue marché et sur la base d'une offre et d'une demande relativement équilibrés, Vietnam Airlines, comme les autres compagnies d'ailleurs, ne retireraient pas de gains significatifs de l'exploitation d'une telle ligne directe, admet-il.

Le rapport gain-perte en question

Concrètement, les bénéfices sont dégagés du transport de personnes et de biens, des services au sol des aéroports de départ et d'arrivée, des taxes de contrôle aérien et de droit de vol. Une ligne plus courte entraînerait un gain en termes de carburant, de temps, d'amortissement du matériel, mais aussi en celui de tarif. Parcourir une plus faible distance économisant le carburant et, par ricochet, de bénéfices de son commerce, alors que les matériels ne changent pas. Les compagnies gagneraient également en coût de location d'avions étrangers comme de pilotes, analyse Mai Trong Tuân.

Mais il n'exclut pas la possibilité que les sommes économisées ne suffisent pas à rentabiliser le coût d'exploitation en raison de la taxe de survol des territoires du Laos et du Cambodge ainsi que d'une baisse de 16% de leurs tarifs. Mais, globalement, les sommes économisée par la population, dans l'économie, serait colossale. D'autant plus que la région du delta du Mékong en tirerait profit, Cân Tho et Hanoi étant situées sur cet itinéraire, déclare-t-il avec optimisme.

La réserve de Mai Trong Tuân est favorablement accueillie par Nguyên Thành Trung, ancien directeur général adjoint de Vietnam Airlines, qui a volé durant plus de 35 années. Ce dernier se déclare convaincu que les pays précités accepteraient une proposition en ce sens, que la réduction de 100 km de route serait "quelque chose", et que les gains seraient évidents sachant qu'un Boeing 777 consomme 6 tonnes de carburant par heure. Il n'est par contre pas convaincu que les compagnies soient en mesure de rentabiliser l'opération avec les économies réalisées.

Selon le Département de l'aviation civile, les frais augmenteraient avec la charge des services au Laos et au Cambodge, à raison respectivement de 320 dollars et de 454 dollars pour un Boeing 777, frais supplémentaires pour jours fériés et fêtes du Cambodge non comptabilisés. À ceux-ci viennent s'adjoindre les frais et taxes de vol international imposés par la Convention de Chicago et la Loi sur l'aviation civile vietnamienne.

Le Département en déduit que le coût d'une telle opération serait supérieur aux économies qu'elle permettrait. Concrètement, couvrir la distance en droite ligne coûterait quelque 800 dollars de plus que la ligne actuellement exploitée, non compris frais de services de bord et au sol pour les passagers. En matière de carburant, le chiffre de 5.000 litres de kérosène économisé par vol suivant la longitude de 106° Est est irréalisable, ajoute Bùi Van Vo, chef du Service de gestion des vols.

Luong Hoài Nam juge "vivifiante" la nouvelle de 25 minutes de vol de moins selon les calculs de Mai Trong Tuân, sans compter le gain d'amortissement et de temps. Il fait cependant preuve de prudence en attendant que les experts déterminent précisément les frais économisés avec ce nouveau trajet.

Pratiquer ce nouveau trajet est si tentant qu'un officiel de l'ICAO a demandé à ses collègues vietnamiens si cela était réalisable. C'est pourtant lui qui, après investigations, en a abandonné toute idée en constatant que le coût étaient plus élevé que les économies réalisées, révèle Pham Xuân Duc, directeur général adjoint de Vietnam Airlines. Ce transporteur national, en tant qu'entreprise, a fait une enquête qui a confirmé la baisse de la durée de vol, mais aussi l'augmentation du coût d'exploitation en raison des taxes précitées.

Les partisans de ce projet ne l'entendent toutefois pas de cette oreille. Selon les calculs de Trân Dinh Ba, directeur général adjoint de la compagnie Glittering Star J.S.C., l'actuel route aérienne engloutit plus de 200.000 dollars (soit plus de 73 millions de dollars par an) de plus que la "nouvelle". Il trouve vital pour les avions de relier 2 points en ligne droite, ce qui pour ce nouveau trajet permet d'économiser 45 millions de dollars par an, déduction faite des plus de 13,5 millions de dollars de taxe de survol de territoire. Des dizaines de millions de passagers, les compagnies aériennes et l'État en tireraient des profits durables, estime M. Ba.

Taxe de survol de territoire...

Cet expert en économie des communications et des transports trouve un soutien chez Lê Trong Sành, ancien chef du Service de contrôle aérien de l'aéroport de Tân Son Nhât, qui invite à étudier soigneusement le projet de Mai Trong Tuân, de par les gains importants qu'elle implique. En temps de paix, le développement économique prime avant tout, estime Lê Trong Sành, ancien lieutenant-colonel d'aviation de plus de 30 ans d'expérience...

Réduire d'une ou 2 minutes la durée de vol est très significatif sur le plan économique. Une route aérienne raccourcie serait tentante pour nombre de compagnies étrangères volant à Hanoi ou à Singapour, en Thaïlande, au Myanmar… en provenance de Chine, de Russie… et vice-versa. Les avions empruntant cette ligne paieraient les taxes qui constitueraient des revenus non négligeables. Non seulement le Vietnam en tirerait profit (perception de taxes et frais) mais le Laos et le Cambodge également, raisonne l'ancien pilote.

L'efficience économique est une question "importante" pour Pham Xuân Duc, directeur général adjoint de Vietnam Airlines, qui qualifie de "positive" la route à vol d'oiseau. Elle pourrait être plus courte et permettrait des économies de temps et de carburants. Gagner en durée de vol est une chose, voler ou ne pas voler est une autre chose, les autorités des pays concernés devront en discuter en détail, dit-il avec prudence.

Pham Xuân Duc juge nécessaire de bien calculer la question économique dans l'intérêt du pays. Les compagnies aériennes gagneraient sur les carburants, la durée de vol, l'amortissement des avions…, mais paieraient le survol de territoire. On ne gagne que 7 minutes par vol avec elle, soit 1.600 litres de carburants par vol, alors qu'on devra payer au Laos et au Cambodge 176 dollars par vol. Cette somme est importante par rapport au nombre de vols quotidiens de Vietnam Airlines, relève son directeur général adjoint.

L'initiateur de la route à vol d'oiseau rétorque que l'ICAO n'en fixe "pas de barèmes" et que le Vietnam devrait négocier avec ses voisins pour payer un tarif réduit. Les scientifiques ne protestent pas : la taxe de survol de territoire est peut-être négociable.

Politique de "ciel ouvert"

Pour en avoir le cœur net, Vietnam Airlines a fait un essai. Un de ses avions a volé de Hanoi à Hô Chi Minh-Ville en passant par Paksé (Laos) et la compagnie a été obligée de payer la taxe de survol réclamée par le Laos. On peut voler l'un dans le territoire de l'autre, mais il est difficile pour un pays membre de l'OMC, tel que le Vietnam, de se voir appliquer des tarifs préférentiels ou nuls par un voisin. Ramener par négociations la taxe à 320 dollars pour le Laos et 445 dollars pour le Cambodge l'est également, une grille tarifaire à 2 vitesses étant impensable entre les pays engagés dans l'intégration, observe le département.

Une ligne aérienne commune à 3 pays de l'ancienne Indochine est pourtant considérée comme un "moteur" du développement socio-économique, une "ligne aérienne de paix" par Trân Dinh Ba, directeur général adjoint de la compagnie Glittering Star J.S.C. Cet expert en économie de communications et de transports y voit même un "pont aérien stratégique" allant dans le sens d'un "ciel ouvert" qui profiterait à tous les pays concernés sur les plans socio-économique et environnemental.

Les pays de l'ASEAN ont signé un accord facilitant le transport de passagers entre eux. La politique de "ciel ouvert" est prévue pour être applicable à partir de 2010 et les avions d'un pays sont libres de voler dans un autre. De plus, en 2015, l'ASEAN deviendra un marché aérien uni, ce qui favorisera un partenariat avec le Laos et le Cambodge en vue de lancer la ligne à vol d'oiseau, argumente-t-il.

Pour Nguyên Thiên Tông, ancien chef de l'UER Techniques aéronautiques de l'École polytechnique de Hô Chi Minh-Ville, la politique de "ciel ouvert" est un avantage. Ce n'est pas très logique de dire que la ligne stratégique doit se trouver à l'intérieur du territoire comme l'a avancé le Département de l'aviation civile, les avions lao passant au-dessus de la Thaïlande pour se rendre vers le Sud en provenance de Vientiane. Survoler les territoires des voisins est normal en ces temps-ci. Nous nous plions à la pratique internationale et les payons comme il faut, observe cet expert.

Autant la ligne à vol d'oiseau sera ouverte tôt, autant elle rapportera non seulement au Vietnam, mais aussi au Laos et au Cambodge, estime Lê Trong Sành, ancien chef du Service de contrôle aérien de l'aéroport de Tân Son Nhât.

Hà Minh/CVN

(27/12/2009)

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