Génétique : la bataille américaine des brevets sera longue

Dans un grand bâtiment moderne d'une banlieue de Washington s'est achevée cette semaine la première manche d'une bataille feutrée, mais féroce, sur une technique révolutionnaire de modification du génome. Vu les enjeux financiers colossaux, la partie sera longue.

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Une scientifique fait des expérimentations, à Pékin, en Chine, le 22 août 2012
Photo : AFP/VNA/CVN

La technique révolutionnaire de modification du génome oppose un duo féminin franco-américain, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, à un Américain d'origine chinoise, Feng Zhang. Soit le gratin international des chercheurs spécialisés dans la "chirurgie du gène".

L'office des brevets américain (USPTO) a rendu une décision favorable à l'équipe de Feng Zhang, cerveau du Broad Institute, organisme né de la collaboration d'Harvard et du Massachusetts Institute of Technology.

Editas Medicine, start-up liée à Broad, a donc vu son action s'envoler mercredi 15 février en Bourse. À contrario, les cours des sociétés ayant parié sur les brevets de Mmes Charpentier et Doudna ont brutalement chuté.

Cette dispute scientifico-économique aura en effet des conséquences sur des contrats estimés à des milliards de dollars.

"Cela serait de la folie (pour elles) de ne pas faire appel. Le ratio entre le coût et les bénéfices potentiels l'impose", assure le professeur de droit Jorge Contreras, expert en génétique et propriété intellectuelle.

Régulièrement pressentie pour le Nobel, Mme Charpentier est affiliée au Max Planck Institute de Berlin et à l’Université d’Umeå en Suède. Également couverte de prix, Mme Doudna vient de l'Université de Californie à Berkeley.

Les deux femmes sont créditées de la paternité d'un outil baptisé CRISPR-Cas9, qui est à la génétique ce que le traitement de texte a été à la typographie.

«Couteau suisse» génétique

Leur découverte révolutionnaire, décrite dans la prestigieuse revue Science en juin 2012, avait stupéfié la communauté scientifique.

Avec leurs ciseaux génétiques CRISPR-Cas9, la microbiologiste française et la biochimiste américaine peuvent éditer le génome de manière chirurgicale, en ciblant une zone spécifique de l’ADN, en la coupant ou en y insérant la séquence souhaitée.

Cela ouvre des champs d'application infinis dans les domaines de la santé et de l'agriculture.

Le Bureau américain des brevets et marques commerciales (USPTO), à Alexandria, en Virginie, le 14 mars 2006.

Le tandem franco-américain avait déposé en mai 2012 une demande de brevet au Bureau américain des brevets et marques commerciales (USPTO), en décrivant utiliser le CRISPR avec des organismes simples de type bactéries.

Feng Zhang a lui appliqué le CRISPR à des cellules ayant un noyau (eucaryotes). Une innovation ouvrant la possibilité d'élargir les modifications génomiques aux cellules humaines.

Parti en seconde position, le chercheur du Broad Institute a déposé sa demande de brevet selon une procédure accélérée et plus coûteuse, se voyant finalement octroyer en premier une patente.

D'où le litige devant l'USPTO, opposant Berkeley et Broad sur fond d'espoirs d'eldorado économique et d'inquiétudes éthiques liées aux manipulations biogénétiques.

Après une audience en décembre, les juges de l'USPTO ont estimé mercredi que le brevet déposé par Broad ne causait pas d'"interférence" avec la demande de brevet plus large déposée par Berkeley et le duo Charpentier-Doudna.

Mais les deux femmes n'ont pas concédé de défaite. Notre demande de brevet, ont-elles expliqué, "est désormais libérée de l'interférence et peut poursuivre sa procédure de dépôt".

«Balles de tennis»

Mme Doudna a relativisé la victoire remportée par Feng Zhang avec une comparaison empruntée au registre sportif. "Ils auront un brevet sur les balles de tennis vertes. Nous aurons un brevet sur toutes les balles de tennis".

Cette éventualité est jugée possible par les experts.

"Il est envisageable que Berkeley obtienne des droits d'une portée large couvrant toutes les utilisations du CRISPR, tandis que ceux de Broad se limitent aux eucaryotes", explique M. Contreras.

"Ainsi, toute personne souhaitant avoir recours au CRISPR, par exemple dans l'agronomie, aura besoin d'une licence de Berkeley. Et, si cela concerne les eucaryotes, elle aura besoin d'une licence à la fois de Berkeley et de Broad", détaille-t-il.

Toutefois, selon Jacob Sherkow, un expert de la New York Law School, Broad a bien obtenu mercredi 15 février des droits potentiellement très lucratifs lui permettant d'exclure les autres d'un certain champ d'application du CRISPR.

Même si Berkeley parvenait à obtenir des vastes droits sur le CRISPR, "ce brevet serait faible et ne résisterait probablement pas à des actions futures devant les tribunaux", a-t-il affirmé.

AFP/VNA/CVN

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