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La France figure parmi les pays les plus consommateurs de médicaments en Europe. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"J'en ai pris pour m'amuser avec des amis. Ça ralentit le cerveau", décrit Ronan, 16 ans. Cet élève de seconde à Versailles, en banlieue parisienne, dit avoir essayé un mélange composé de sirop contre la toux et de soda, après en avoir entendu parler "par le bouche-à-oreille".
La codéine, un antidouleur de la même famille que l'opium, est aujourd'hui disponible en vente libre en France sous forme de sirops contre la toux et en comprimés (antalgiques), si la dose ne dépasse pas 30 mg par comprimé.
"Certains de mes amis en prennent en soirée, ils arrivent avec leurs boîtes de médicaments dans le sac", raconte Victor, 15 ans. "Ils disent qu'avec ça ils sont détendus et que ça leur permet de s'amuser", ajoute le jeune homme qui assure n'avoir jamais goûté lui-même au mélange.
Apparus il y a quelques années sous le nom de "purple drank", ces "boissons-défonce" à la codéine sont redevenues populaires aujourd'hui, notamment sur les réseaux sociaux, sous le nom de "lean".
Selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), qui n'a pas encore de données quantitatives sur le phénomène, "les observations de terrain permettent de constater une augmentation des consommations chez les jeunes des médicaments codéinés et on note un regain d'intérêt pour le +lean+ sur les forums de discussion sur internet".
"La consommation de codéine est considérée par la plupart des jeunes comme totalement anodine car il s'agit de médicaments. Ils ignorent le risque de surdose et d'hospitalisation et cette consommation est valorisée car le phénomène vient des États-Unis et a été mis en avant dans certains morceaux de hip-hop", explique Agnès Cadet Taïrou, épidémiologiste et spécialiste de la veille sur les phénomènes émergents à l'OFDT.
Deux décès
L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a récemment annoncé réfléchir aux moyens de "restreindre l'accès" aux médicaments contenant de la codéine, devant l'augmentation des détournements d'usage en particulier chez les adolescents.
Depuis le début de l'année, l'ANSM a reçu cinq signalements d'utilisation abusive de codéine chez des mineurs, dont deux ayant entraîné le décès.
Et ces chiffres ne sont "pas exhaustifs : il est fort probable qu'il y ait d'autres cas pas déclarés", explique Nathalie Richard, directrice adjointe du pôle de l'ANSM chargé des antalgiques et des stupéfiants.
En 2016, l'agence, qui rappelle qu'un usage normal de ces médicaments ne présente pas de risque, avait comptabilisé une quinzaine de signalements dont deux ayant nécessité une hospitalisation.
Selon l'ANSM, la plupart des signalements ont été faits par les pharmacies.
"Beaucoup de pharmaciens refusent désormais la délivrance de ces médicaments et certains ne stockent même plus certains de ces produits", affirme Alain Delgutte, président du conseil central de l'Ordre national des pharmaciens.
Selon Maïtena Milhet, chargée d'étude à l'OFDT et auteure d'une enquête qualitative "Jeunes et médicaments psychotropes" publiée en mai 2016, "la mode" des cocktails codéinés chez les jeunes en France "est à relier à la consommation très élevée de médicaments par la population en général".
La France se situe parmi les pays les plus consommateurs de médicaments en Europe. Pour la consommation de médicaments contre l'anxiété ou l'insomnie par exemple, elle se situe au deuxième rang derrière l'Espagne, selon un rapport cette année de l'ANSM.
AFP/VNA/CVN