Le serpent mue, pour rajeunir. |
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Avez-vous entendu le conte sur le serpent qui, devenu vieux, change de peau ? Au moment où l’Empereur de Jade créa l’homme, il décida que celui-ci ne connaîtrait pas la mort. Au terme de sa vie, il s’endormirait pour plusieurs jours, et au cours de son sommeil, sa peau se détacherait de son corps et il se réveillerait rajeuni, avec une nouvelle peau. Par ailleurs, pour une raison qui reste obscure, le même Empereur de Jade condamna les serpents à mourir à cause de leur cruauté. Pour faire exécuter cet ordre, l’Empereur de Jade envoya un génie sur terre.
L’arroseur arrosé
Quand l’envoyé du Ciel toucha le sol, il tomba par mégarde dans le repaire des serpents. Aussitôt, les reptiles, qui avaient eu vent de l’affaire, encerclèrent le génie et le menacèrent : "Si vous n’inversez pas la décision de l’Empereur de Jade, nous vous étouffons dans nos anneaux !". Pas très courageux, le génie prit peur et inversa l’ordre en décrétant que, devenu vieux, l’homme mourrait et que le serpent changerait de peau. Et depuis ce temps-là, l’homme meurt et le serpent mue, pour rajeunir.
Lorsque l’Empereur de Jade apprit la nouvelle, il entra dans une terrible colère, et ne pouvant revenir sur la décision prise, il décida de punir son envoyé spécial en le transformant en scarabée coprophage.
Curieuse légende pleine d’enseignements. Et en premier, le curieux parallèle avec la croyance qui veut que dans un jardin d’Eden, une certaine Eve ayant suivi les conseils d’un serpent a contraint les hommes à abandonner la vie éternelle. On peut comprendre pourquoi dans un village à côté de Hanoï, on prend un réel plaisir à manger du serpent, préparé de dix façons différentes. On pourrait avoir une dent contre lui à moins.
L’autre leçon, c’est que, à être génie, on n’en est pas moins faillible. Et c’est sans doute cette relation entre le génie et l’homme qui est la plus surprenante. En effet, les hommes vénèrent les génies et implorent leur protection en n’hésitant pas à leur édifier des temples somptueux, à leur offrir trésors et nourritures, à leur confier leur vie. Mais dans le même temps, si le génie ne répond pas aux prières de façon satisfaisante, il peut être sanctionné, voire révoqué.
J’ai ainsi lu quelque part que si un village était trop souvent inondé malgré les offrandes au Génie protecteur du lieu, celui-ci pouvait être placé dans une bassine d’eau pendant un an pour qu’il se rende compte de ce que c’était d’avoir les pieds humides. Sans doute moins pire que d’être transformé en scarabée coprophage, comme le génie de la légende, mais n’empêche, être génie ce n’est quand même pas une sinécure.
Inondé de colère
Mais attention ! Parfois, les génies peuvent entrer dans de grandes colères, comme le révèle l’édifiante légende qui suit. Qui ne connaît pas l’histoire de Son Tinh et Thuy Tinh ? Cela se passait en des temps reculés, à l’époque du 18e roi Hùng de la dynastie fondatrice du Vietnam. Il avait une fille, qui, comme le veut toutes les légendes, était d’une beauté extraordinaire et d’une vertu à toute épreuve.
Pour lui trouver un mari digne d’elle, le roi envoya des hérauts par tout le pays. Évidemment, de nombreux candidats se présentèrent, mais aucun ne retint l’attention de la princesse. Le royal papa commençait à la trouver saumâtre, quand arrivèrent deux nouveaux prétendants : l’un au teint frais, du nom de Son Tinh, Génie de la montagne par ailleurs, et l’autre au teint bleuâtre, Thuy Tinh, Génie des eaux quant à lui.
Pour démontrer ses aptitudes à être l’élu, Thuy Tinh y mit le paquet. Il appela le vent et la pluie, héla les éclairs et le tonnerre, et des trombes d’eau s’abattirent sur la terre, profondément secouée par la foudre. Pour calmer le jeu, Son Tinh leva simplement son bâton magique et le calme revint. Les plantes et les fleurs s’épanouirent sous un soleil radieux. Face à ces exploits, la princesse était perplexe.
Attention ! Le Génie des eaux ne dort que d’un œil ! |
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Pour trancher, le roi décida d’accorder la main de sa fille à celui des deux qui lui apporterait en premier 100 pains de riz collant, des éléphants à neuf défenses, des coqs à neuf ergots, et des chevaux à neuf crinières… Sur ce coup-là, Son Tinh fût le plus rapide et c’est lui qui se présenta le lendemain dès l’aube. Ayant remis ses offrandes, il partit aussitôt en voyage de noce avec la princesse, dans son palais des hautes crêtes.
Quand Thuy Tinh arriva, il entra dans une violente colère, furieux d’avoir été pris de vitesse par son rival. Il déchaîna alors un véritable déluge qui submergea les récoltes et emporta les habitations des hommes. Mais Son Tinh tînt bon. Il déplaça des chaînes de montagne pour endiguer les flots, et des collines poussaient au fur et à mesure que les eaux montaient.
Le combat dura plusieurs mois, mais finalement Thuy Tinh se fatigua et dut s’avouer vaincu. Il retourna dans son palais des eaux. Mais la rancune restait dans son cœur. Et même des milliers d’année après, aux 6e et 7e mois lunaires, il recommence la colère en envoyant typhons et crues qui ravagent le pays.
Voilà pourquoi, depuis la nuit des temps, pauvres mortels que nous sommes, nous payons pour les déboires amoureux d’un génie ! Et celui-là, inutile de lui mettre les pieds dans l’eau, il en frétillerait d’aise. On pourrait sans doute aller se plaindre auprès de l’Empereur de Jade. Après tout, c’est lui qui a pris en main les affaires célestes et terrestres en envoyant des génies pour fabriquer les étoiles, creuser des fleuves, vider les mers, planter les arbres, et même créer l’Homme.
Bien sûr personne n’est obligé de croire à toutes ces histoires, mais ne dit-on pas que toute légende a un fond de vérité. Alors soyez prudents !
Gérard Bonnafont/CVN