En Irak, préserver la calligraphie arabe contre vents et marées

Quand il ne porte pas des parpaings sur les chantiers dans le Nord de l'Irak, Jamal Hussein s'adonne à la calligraphie arabe, un art qui ne nourrit plus son homme dans le monde contemporain, reconnaît-il.

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Des versets du Coran inscrits en écriture koufique sur le dôme de la grande mosquée Moussaoui à Bassora, dans le Sud de l'Irak, le 21 décembre.
Photo : AFP/VNA/CVN

"J'ai une famille nombreuse, je devais trouver un autre travail car on ne peut pas vivre de cet art", dit le quinquagénaire, père de 11 enfants, installé dans la petite ville de Raniye, en Irak.

Plusieurs jours par semaine, il travaille "dans la construction d'immeubles, et porte des parpaings", explique-t-il dans son modeste atelier à domicile.

Mardi 28 décembre, l'UNESCO a inscrit la calligraphie arabe - "art arabe Islamique" - au patrimoine culturel immatériel de l'humanité, après une requête présentée par 16 pays parmi lesquels l'Arabie saoudite, l'Irak, l'Égypte et le Maroc.

"La fluidité de l'écriture arabe offre des possibilités infinies, les lettres peuvent être allongées et transformées de nombreuses façons, afin de créer différents motifs", explique l'institution sur son site Internet.

Une décision saluée par M. Hussein, espérant qu'elle poussera "le gouvernement irakien et la région autonome du Kurdistan à adopter des mesures sérieuses pour soutenir la calligraphie - le Khat, en arabe - et ses artistes".

Initié à cet art dans les années 1980, ce Kurde irakien exhibe chez lui certificats et médailles -une quarantaine au total- attestant de sa participation à des concours.

Le calligraphe irakien Jamal Rassoul Hussein, chez lui dans son atelier à Raniye, en Irak, le 17 décembre.
Photo : AFP/VNA/CVN

En octobre, il est arrivé deuxième lors d'une compétition en ligne en Égypte. Il s'entraîne pour un concours en janvier dans la ville sainte irakienne de Najaf (Centre).

Il lui arrive de vendre les créations de son calame (tige utilisée pour l'écriture calligraphique, qu'il achète en Turquie ou en Iran) pour des affiches, des devantures de boutiques, voire des stèles funéraires, reconnaît-il.

"Aucun soutien"

"Il n'y a aucun soutien du gouvernement, ni pour la calligraphie ni pour les autres arts", déplore le quinquagénaire.

"À cause de la technologie, la sacralité de la calligraphie a baissé", regrette-t-il.

"La calligraphie requiert plus de temps, plus d'efforts, elle coûte plus cher. Les gens vont vers une production technologique moins onéreuse".

Des décennies durant, dans les rues du Caire, d'Amman, Beyrouth ou Casablanca, la calligraphie s'affichait aux devantures des magasins, sur les murs où l'on pouvait lire des adages populaires, sur les plaques en cuivre à l'entrée d'un immeuble signalant la présence d'un avocat ou d'un médecin.

Elle reste aujourd'hui visible sur les façades défraîchies de certaines boutiques. Les hipsters du monde arabe, nostalgiques et grands amateurs de cette esthétique vintage, sont nombreux à prendre en photos leurs trouvailles pour les partager sur les réseaux sociaux.

Impossible pour M. Hussein d'abandonner son art. Son rêve ? "Voyager en Égypte ou en Turquie, y résider temporairement pour améliorer mon khat".

"Survie"

À l'autre bout de l'Irak, dans le Sud du pays, Waël al-Ramadan ouvre sa boutique dans une ruelle de Bassora. Alors qu'il était encore enfant, son père l'a initié à l'art de la calligraphie.

Le calligraphe Waël al-Ramadan dans sa boutique à Bassora, dans le Sud de l'Irak, le 19 décembre.
Photo : AFP/VNA/CVN

Quand un client vient s'enquérir de ses services pour la confection d'un tampon administratif, il saisit un de ses calames et commence lentement sur un cahier à tracer les mots demandés, à partir de lettres arabes se distinguant par leurs élégantes courbes.

Il salue la décision de l'UNESCO, un "grand soutien pour la calligraphie et les calligraphes dans le monde entier".

Il reconnaît toutefois que pour vivre, il enseigne la discipline dans des écoles et met son art au service de la publicité.

"Nous espérons que notre gouvernement s'intéressera à cet art, par le biais d'expositions, de compétitions", ajoute le calligraphe de 49 ans, crâne rasé et tout de noir vêtu.

"La survie de la calligraphie arabe dépend du soutien de l'État", ajoute-t-il. Mais pas question de jeter l'éponge. "J'espère évidemment que mes enfants me succèderont, tout comme j'ai marché sur les pas de mon père", confie-t-il en souriant.


AFP/VNA/CVN

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