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Arleth Martinez montre la photo de ses jumeaux dans sa cellule de la prison de San Diego, à Carthagène, le 24 août 2017 en Colombie. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
À l'image du centre de détention de Pollsmoor, au Cap, en Afrique du Sud, où Nelson Mandela a été un temps emprisonné, et de la prison pour hommes de Milan en Italie, de plus en plus d'établissements pénitentiaires mènent ce type d'expériences de réintégration mêlant cuisine et service.
Les portraits de ses jumeaux de sept ans sont les "porte-bonheur" d'Arleth, condamnée à six ans de prison pour extorsion. Cette jeune mère noire est arrivée en 2015 à San Diego, la prison pour femmes de Carthagène des Indes, ville portuaire au bord de la mer des Caraïbes.
Et depuis décembre dernier, sa vie a changé : elle passe chaque jour son impeccable uniforme noir, égayé d'un turban fuchsia, pour servir les clients du restaurant El Interno - un nom à double sens en espagnol qui renvoie à la fois au "détenu" et à "l'intérieur".
"Bien qu'emprisonnée, je me sens libre parce que l'ambiance est différente", explique à l'AFP cette femme rieuse de 26 ans. "Il n'y a pas autant de grilles" qu'ailleurs dans la prison.
Située dans le centre historique de cette ville d'un million d'habitants, San Diego est la première prison pour femmes en Colombie ouverte, en quelque sorte, au public.
Quinze des 150 détenues, certaines en attente de jugement, d'autres déjà condamnées pour trafic de drogue ou homicide, travaillent à la cuisine ou au service. Un projet de réinsertion qui a aussi l'avantage d'engendrer une remise de peine : deux jours passés au restaurant, c'est un jour de détention en moins.
Une seconde chance
Arleth Martinez, condamnée à six ans de prison, travaille au restaurant "El Interno" à la prison de San Diego, le 24 août 2017 à Carthagène, en Colombie. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Un rideau fuchsia sépare la salle du restaurant des cellules et une grande fresque fleurie apporte d'autres notes de couleurs. La porte est fuchsia, elle aussi.
Le menu, qui coûte 90.000 pesos (30 dollars), inclut une entrée, un plat, un dessert et un jus de fruit frais et offre le choix, pour le plat principal, entre un "ceviche de poisson au lait de coco", du "riz aux fruits de mer" ou une "posta cartagenera", plat de viande en sauce typique.
L'Interno constitue une opportunité de formation et de réinsertion pour les prisonniers, dans un pays qui compte la plus importante population carcérale d'Amérique du Sud après le Brésil. Depuis 2000, leur nombre est passé de 51.500 à 119.500, selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Le durcissement des peines et la hausse des condamnations pour trafic de drogue ont plus que rempli les 138 prisons de Colombie, dont la capacité totale ne dépasse pas les 80.000 places.
"Yo creo en las segundas oportunidades" ("Je crois aux deuxièmes chances"), arbore Arleth sur sa chemisette. Ce même slogan, inscrit sur le mur au-dessus d'une flèche noire, indique l'entrée de ce restaurant de 50 couverts.
L'Interno propose des dîners gastronomiques du mardi au dimanche. Lorsqu'il ferme à 23h00, les prisonnières regagnent leurs cellules pour l'appel. Comme les autres prisons de Colombie, San Diego est surpeuplée : 150 femmes pour 100 places, et parmi elles nombre de prévenues en attente de procès.
Le restaurant a été ouvert par la fondation Accion Interna (Action Interne). Sa directrice, Johana Bahamon, s'est inspirée de l'InGalera, installé sur le parking de la prison de Milan.
Une cellule pour 25
Arleth Martinez, condamnée à six ans de prison, devant la porte du restaurant "El Interno" à la prison de San Diego, le 24 août 2017 à Carthagène, en Colombie. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Cette actrice de télévision a convaincu les autorités de Carthagène d'adapter le concept à San Diego, située à quelques mètres des hôtels de luxe qui foisonnent au sein des remparts de la cité coloniale.
Les prisonnières ont été formées en deux mois pour la cuisine, le service ou la boulangerie, et ont élaboré le menu avec l'aide de chefs reconnus. Le restaurant a été installé dans le patio où les gardes garaient auparavant leurs motos. Il attire notamment des personnalités et des responsables de médias solidaires de cette cause.
"Quand ils arrivent, les gens savent qu'ils entrent dans une prison et qu'ils vont être servis par des détenues. Quand ils en sortent, ils sont contents d'avoir rencontré des êtres humains talentueux et courageux", a assuré la blonde Johana Bahamon, 35 ans.
Pour des clients tels qu'Antonio Galan, issu d'une famille influente de la capitale, Bogota, tout ici "a une saveur et un arôme de liberté", du goût des plats à l'ambiance du restaurant.
Et pour Arleth, la vie n'est plus la même qu'auparavant. À son entrée à San Diego, elle avait eu un choc : drogue, manque d'hygiène, édifice délabré... Pendant quatre mois, elle a dormi à même le sol, à 25 dans la même cellule, angoissée pour ses enfants confiés à leur grand-mère. Du père, elle ne garde comme souvenir que la maltraitance et l'abandon.
Mais l'an dernier, elle a passé son bac et s'est formée au métier de serveuse. "Seules les guerrières" survivent en prison, estime la jeune femme. Son travail au restaurant lui a aussi permis d'obtenir une couchette pour dormir.
AFP/VNA/CVN