Duras, de son «Amant de la Chine du Nord» à l’amour de ses lecteurs chinois

Marguerite Duras, qui aurait eu 100 ans cette année, figure parmi les écrivains contemporains français les mieux connus en Chine, où son roman L’Amant, récit de sa relation de jeunesse avec un riche Chinois, et le film qui en a été tiré, ont popularisé son nom et son univers.

L’écrivain français Marguerite Duras (1914-1996) assiste à l’émission «Apostrophes» à Paris, le 28 septembre 1984, à l’occasion de la publication de son nouveau roman +L’amant+.

Dans l’une des librairies les plus fréquentées de Pékin, dans le quartier de Xidan, les traductions en mandarin des œuvres de Duras occupent un rayonnage entier ; parmi les Français présents sur les étagères voisines, seul Milan Kundera bénéficie d’un semblable privilège.

Bien que très différents, ces deux-là ont en commun de compter ici parmi les mieux traduits et les plus populaires des écrivains hexagonaux du dernier demi-siècle.

«Les points de vue et la culture ne sont pas les mêmes (qu’en Chine) mais avec son style, (Duras) réussit à tout connecter. Elle me donne l’impression que le monde est immense et plein, elle le regarde sous tous les angles», s’enflamme Duan Ruopeng, jeune étudiante en musicologie à l’Université normale de la capitale.

En tant qu’artiste, elle se dit «bouleversée» par les «échos» ressentis en la lisant. En fait, la relative célébrité de Duras en Chine tient surtout au succès d’un roman, L’Amant, paru il y a tout juste trente ans : avec pas moins de huit versions différentes en chinois depuis 1985, c’est devenu «un vrai phénomène littéraire», selon Huang Hong, professeur à l’Université de Nankin et spécialiste de Duras.

«Érotisme» et modernité de l’écriture

Le thème même de l’intrigue-la passion amoureuse dans l’Indochine des années 30 entre une jeune fille française et un homme d’affaires de «la Chine du Nord» - a touché une corde sensible.

«Cet aspect interculturel, l’amour entre une Blanche française et un homme asiatique, c’était nouveau, et l’aspect érotique du roman, c’était du jamais vu», insiste Wang Dongliang, professeur à l’Université de Pékin, responsable d’une des premières traductions.

«À tel point que mon éditeur m’avait à l’époque demandé de supprimer de brefs passages de ma version», s’est-il souvenu, lors d’un séminaire organisé en juin à Pékin pour le 100e anniversaire de la naissance de l’auteur.

«Avec +L’Amant+, Duras a trouvé un équilibre entre le monde oriental (qui a baigné sa jeunesse) et la culture occidentale», avance de son côté Hu Sishe, l’un des premiers universitaires du pays à l’avoir étudiée.

Les lecteurs chinois «ont aussi aimé +L’Amant+ à cause de sa façon de raconter, de son style très déconstruit. Elle a été adorée par la jeune génération pour la modernité de son écriture», a-t-il expliqué.

Après les années de carême de la Révolution culturelle, la Chine des années 1980 connaît une période effervescente d’ouverture à la littérature étrangère, et c’est dans ce contexte qu’une jeunesse assoiffée de nouveautés découvre Duras.

Cet engouement est avivé par l’éloge qu’en font des écrivains influents, tel Wang Xiaobo, l’auteur de L’Âge d’or : celui-ci loue dans un essai remarqué «la simplicité du langage» dans L’Amant.

Une image de «vedette»

Mais autant que le livre lui-même, la renommée de Duras a été grandement alimentée par l’adaptation cinématographique qu’en a tiré Jean-Jacques Annaud en 1992.

En Chine, le film a été «annoncé par une publicité tapageuse (et) coupé par la censure pour sa projection en salles» en raison de scènes d’amour très évocatrices, «mais avec de nombreuses copies du film intégral circulant sous le manteau», rappelait Huang Hong dans un article publié en 2006.

Jean-Jacques Annaud, réalisateur du film de L’amant, le 28 mars 2012.
Photo : CTV/CVN

«Il a permis (à Duras) de connaître un succès médiatique démesuré en Chine pendant les années 1990», indiquait-elle, ajoutant que «la révélation dans les journaux chinois de sa liaison avec Yann Andrea, plus jeune qu’elle de presque quarante ans» avait également contribué à en faire «une vedette».

La star hongkongaise Tony Leung Ka-fai, qui incarnait le personnage de l’Amant à l’écran, «avait beaucoup hésité avant d’accepter, car c’était un rôle difficile, très dénudé, alors que les Chinois sont très pudiques, et l’idée de passer des semaines de tournage dans une garçonnière l’inquiétait beaucoup», a confié Jean-Jacques Annaud.

«Je lui avais dit : tu représentes la dignité de l’Asie. L’amour qu’avait Marguerite pour (ce personnage), c’était l’amour de sa classe, de sa dignité, de ses manières raffinées (...) Et de son côté, c’est Tony Leung qui m’a ouvert au monde chinois», a souligné le réalisateur -dont le prochain long-métrage a justement été tourné en Mongolie intérieure.

L’enthousiasme pour Duras ne semble pas s’être tari en Chine, où se poursuit la traduction de certaines de ses oeuvres plus exigeantes, et où est publiée cette année sa volumineuse biographie par Laure Adler.

Et Marguerite Duras y a aujourd’hui des épigones : selon Mme Huang, de jeunes femmes écrivains, telles que les Shanghaïennes Mian Mian ou Wei Hui, qui ont fait scandale par leurs autofictions très sexualisées, «s’en inspirent beaucoup».

AFP/VNA/CVN

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