Diên Biên Phu sous différents points de vue

La revue américaine Veteran a consacré un numéro spécial (Vol 32, N°4, 2012) à Diên Biên Phu. Sans doute parce que la participation américaine indirecte à cette bataille historique a amorcé l’engagement américain dans le «Vietnam War». (Deuxième partie)

>>Diên Biên Phu sous différents points de vue
Début 1954, quand les premiers combats explosèrent, beau-coup d’Américains ignoraient le Vietnam. Washington, qui avait commencé à soutenir la lutte de Hô Chi Minh et du Viêt minh contre les Français de Vichy et les Japonais occupant conjointement le Vietnam, les a abandonnés après la proclamation de l’indépendance du Vietnam (septembre 1945). Il s’est mis à seconder la reconquête française du Vietnam, craignant que le Vietnam ne tombe dans l’orbite communiste asiatique et mondiale. Après sept décennies de distance, cette couverture de Diên Biên Phu nous présente l’événement revu sous trois points de vue français, vietnamien et américain.

Point de vue vietnamien : le glas du colonialisme (Lady Borton)

Le général Giap, le héros de Diên Biên Phu, aujourd’hui centenaire, a déclaré : «Diên Biên Phu sonnait le glas du colonialisme». Vers 1952, les Vietnamiens contrôlaient le Nord et le Nord-Est de la Haute Région du Nord Vietnam, les Français les forts du Nord-Ouest. À Na San, ces derniers avaient construit un camp retranché qui devait servir de modèle à Diên Biên Phu.

Les soldats de l’Oncle Hô ont atteint le 7 mai 1954 le QG de Castries à Diên Biên Phu.


En été 1953, le général Navarre présenta son plan en vue de terminer de manière honorable la guerre française au Vietnam mené depuis 1946. En septembre, les services secrets soviétiques ayant pu capter une copie de ce document (avec cartes) l’ont communiquée aux Chinois et, de là aux Vietnamiens. Selon Vo Nguyên Giap, c’est Hô Chi Minh qui a conçu la réplique stratégique au plan Navarre. N’oublions pas que Hô Chi Minh s’était donné une bonne formation militaire. En 1927, à Guangzhou en Chine, il avait servi comme interprète pour les experts militaires russes à l’Institut militaire Whampoo. En outre, il avait aussi connu la stratégie militaire des révolutionnaires chinois.
En octobre 1953, les quatre membres du politburo se réunirent pour discuter d’un plan pour contrer Navarre. M. Giap raconte ainsi cette séance :
«M. Hô lève son poing et dit :
- L’ennemi concentre ses forces mobiles pour créer une grande force de frappe. N’ayons pas peur. Nous disperserons leurs forces. Leur puissance s’évaporera.
M. Hô indique avec ses cinq doigts les cinq initiatives qui devaient devenir le plan de notre campagne hiver-printemps 1953-1954.
1. Dans le Nord-Ouest, libérer le chef-lieu de Lai Châu, et avec le Pathet Lao la province de Phongsaly.
2. Avec le Pathet Lao, avancer dans le Laos centre.
3. Avec le Pathet Lao, libérer Attopeu et le Boloven dans le Sud du Laos.
4. Mener de petits combats d’escarmouche au Nord des hauts plateaux du Centre pour disperser les troupes françaises de l’Opération Atlante.
5. Harceler les troupes françaises par la guérilla
».
Une fois les forces de Navarre dispersées, les Vietnamiens livreront une grande bataille, quelque part dans le Nord-Ouest montagneux favorable aux tactiques vietnamiennes. Tout devait se passer aussi comme si Navarre avait exécuté les prévisions de Hô Chi Minh. Les défaites ont obligé Navarre à abandonner la contre offensive d’Atlante. En novembre 1953, les paras de Navarre occupent Diên Biên Phu. Les Vietnamiens acceptent le défi.
Après de laborieux préparatifs pour le premier engagement, Vo Nguyên Giap vient voir Hô Chi Minh avant de rejoindre Diên Biên Phu. M. Hô lui recommande : «Cette bataille est cruciale. Vous devez engager le combat pour vaincre. Si vous n’êtes pas sûr de la victoire, n’engagez pas le combat!».

Avions, tanks, automobiles, etc. des Français détruits lors de la bataille de Diên Biên Phu en 1954


Pour un plan d’attaque assuré
On a décidé d’ouvrir le feu à 17h00 du 25 janvier 1954 et de clore les combats après trois nuits et deux jours. Arrivé sur le terrain, M. Giap trouve que les préparatifs ne sont pas mûrs pour l’engagement bien que ses officiers soutiennent le plan «Attaque éclair, victoire éclair». Les troupes sont enthousiastes et impatientes. Apprenant que l’ennemi a connu l’heure de l’offensive, M. Giap la retarde de 24 heures. Il se rend compte que son artillerie est incomplète et très exposée. Le 26 janvier, M. Giap est décidé à abolir le plan d’offensive éclair pour adopter un plan d’attaque assuré.
M. Giap essaie de convaincre Wei Guoquing, chef du groupe de conseillers chinois, au sujet de sa décision. N’ayant pas reçu l’avis de Pékin, il doit endosser seul la responsabilité du changement tactique. Il consulte le Comité du Parti pour la bataille dont il est l’un des quatre membres. Trois sont contre son initiative : Lê Liên (responsable politique) parce que les troupes n’attendent que le combat, Dang Kim Giang (responsable de la logistique) parce qu’on ne peut gaspiller les préparatifs matériels et humains si énormes, Hoàng Van Thai (chef d’état-major) parce qu’il faut bénéficier de l’effet surprise (nous avons pour la première fois des canons de 105 mm et la DCA moderne) sans compter l’expérience des experts chinois.

M. Giap rappelle le conseil de Hô Chi Minh : n’engager le combat que quand la victoire est certaine. Il demande : «Êtes-vous 100% sûrs de la victoire ?» Après discussion, tout le monde se range à l’avis de M. Giap. Il s’ensuit un bouleversement total. La division 308 feint d’aller au Laos. La population est mobilisée (35.000 citoyens transportant souvent avec des bicyclettes 27.400 tonnes de riz, de Thanh Hoa à Diên Biên Phu- 600 km). L’artillerie et la DCA sont bien couvertes, la descente des canons est une tâche dure. On creuse d’innombrables tranchées pour encercler les Français. La division 308 revient du Laos. L’attaque vietnamienne commence le 13 mars. L’artillerie défensive anéantie, le ravitaillement par air devenu impossible, Diên Biên Phu tombe comme un fruit mûr. Le général de Castries se rend le 7 mais 1954.
Faisant le bilan de Diên Biên Phu, le général Giap a noté dans un rapport en date du 28 juillet 1954 : «Les Américains ont financé 80% de la guerre d’Indochine». Il analyse ainsi les calculs des stratèges du Pentagone : «Remporter une victoire décisive et transformer l’Indochine en une base américaine, faire de Diên Biên Phu une base aérienne-clé dans le Sud-Est asiatique et à partir de cette base, contrôler le Nord Vietnam et le Nord Laos et menacer le Sud de la Chine».
Pour le général Giap, Diên Biên Phu est un jalon dans l’histoire universelle : «Diên Biên Phu sonne le glas du colonialisme».

Huu Ngoc/CVN

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