Des six animaux du paysan aux six ministères du roi

Le buffle, le chien, le cheval, la chèvre, le coq et le porc sont six animaux domestiques de la campagne vietnamienne. Dans une fable satirique, ils incarnent selon toute probabilité les ministères de la Cour royale de Huê.

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Les protagonistes de l’ancien roman populaire "La querelle des six animaux domestiques".
Photo : CTV/CVN

Dans le sillage des romans populaires en vers nôm, (écriture démotique sino-vietnamienne), signalons en particulier une fable satirique originale, Luc súc tranh công (Querelle des six animaux domestiques). Cette œuvre apparue sans doute au XIXe siècle dans la région de Huê, capitale royale des Nguyên, témoigne d’un mélange de littérature savante et de littérature populaire. La vie à la campagne y est décrite avec soin, mais le pinceau révèle plutôt un lettré, probablement mandarin, qui ne signe pas son nom puisque toutes les œuvres en vers de l’époque étaient anonymes.

Les ministères de la Cour royale de Huê

La fable comprend un prologue, six chants et un court épilogue. Elle a pour protagonistes six animaux domestiques des campagnes vietnamiennes : le buffle, le chien, le cheval, la chèvre, le coq et le porc, qui symbolisent selon toute probabilité les six ministères de la Cour royale de Huê (Luc bô) : de l’Intérieur (bô Lai), des Finances (bô Hô), des Rites (bô Lê), des Affaires militaires (bô Binh), de la Justice (bô Hình) et des Travaux publics (bô Công).

Une violente altercation s’élève entre les animaux. Chacun, se croyant supérieur aux autres, raconte ses peines, s’étend complaisamment sur ses vertus et ses talents, les multiples services rendus au maître de la maison. Le buffle en veut au chien d’être mieux traité que lui, le chien rejette ses arguments et jalouse le cheval, le cheval s’en prend à la chèvre, la chèvre au coq, et ce dernier au porc.

La citadelle impériale de Huê (province de Thua Thiên-Huê, Centre).
Photo : VNA/CVN

À la fin, grâce à des explications, les six compagnons se comprennent. Contents de leur sort, ils acceptent d’accomplir leur tâche sans se plaindre.

Morale de la fable, chaque ministère doit assumer pour le mieux ses fonctions, coopérer pour servir le monarque. C’est bien dans la ligne confucéenne.

Ne faites pas par exemple comme le buffle qui raconte ainsi ses malheurs :

"Que de malheurs j’endure seul
Les premiers chants du coq à peine dissipés,
Déjà le patron s’empresse de réveiller le pâtre,
Lui disant : Amène le buffle à la prairie.
Qu’il happe quelques herbes pour calmer sa faim !
L’aurore ne tarde pas à poindre,
Et la corvée de labour commence.
Deux longes par-dessus l’encolure,
Un araire traînant après la queue.
Bouche entravée, corde au museau,
Des essaims de mouches sur l’échine
Des sangsues aux pieds,
Je m’essouffle, éreinté
Cependant le laboureur s’égosille
Lance des jurons à tout bout de champ.
Je n’ai de cesse
Que quand le soleil est d’aplomb.
La faim jointe à la fatigue,
Je traîne à peine mes pas.
Se prélasser à l’ombre, je n’ose y penser.
Mes peines, qui les partageraient ?
Rizières irriguées, rizières sèches,
J’en ai plein le dos.
Et encore, des champs de mûriers, de sésame.
J’ai à peine le temps de souffler.
De ruminer ce que j’avale
Le corps ruisselant sous les ondées,
J’endure les morsures des bourrasques
Soie et paddy.
Sans mon travail, point de fruits.

À ma mort, point de cérémonie funèbre
Qu’au moins, on procède à mon enterrement
Mais vivant, je n’ai droit à aucune affection.
Mort, rien n’est fait pour la paix de mon âme.
Au contraire, on se munit de coutelas, de paniers,
L’un d’un fagot, l’autre d’une brassée d’herbe sèche.
L’on se dit : c’est de la fine fleur du royaume de Bouddha
Qu’avec de grosses torches, on le grille
Et envoie son âme au Nirvana"
.

Huu Ngoc/CVN
(Juillet 2002)

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