Tam Côc, une petite sœur de la baie de Ha Long qui a de l’allure. |
Photo: Minh Duc/VNA/CVN |
Je me souviens fort bien de ma découverte de cette baie-là. C’était en 1993…Nous avions pris un bus à suspensions à ressorts à lames dans lequel chaque cavité de la route nous projetait violemment les uns contre les autres. Nous tentions de suivre les explications de notre guide en tressautant au rythme des cahots, et en nous agrippant à notre siège pour conserver un semblant de dignité.
Après un séjour à Hanoï, c’était notre premier contact avec la campagne vietnamienne. Nous nous étonnions de tout: rizières, buffles, enfants courant le long des routes, femmes portant des fardeaux…
Plein les yeux
Après deux heures de routes entrecoupées de haltes hygiéniques pour soulager nos vessies mises à mal, nous sommes arrivés au bord d’une rivière. Après quelques pas mal assurés, nous avons retrouvé nos marques de bipèdes terriens et nous nous sommes dirigés vers des barques à fond plat qui semblaient nous attendre, sagement alignées le long de la berge. À l’époque, l’embarcadère ressemblait à un marché de plein air où les paysannes du coin venaient vendre fruits, vêtements et autres produits sensés être prisés par des touristes occidentaux.
J’avais d’ailleurs été invité par une de ces dames à me rendre à son logis pour, dans l’ordre, partager un thé, rencontrer sa fille, acheter une nappe brodée. Néophyte à l’époque, j’avais décliné l’invitation, ne sachant quelles turpitudes pouvaient m’attendre. Nous étions montés dans une des barques pour, après quelques coups de rames, en redescendre aussitôt. En effet, la rivière passait sous un pont de pierre, si bas qu’il fallait quasiment se coucher en avant pour le franchir. Et pour nous éviter de malencontreux chocs à la tête, nous avons dû abandonner notre embarcation, passer à pied de l’autre côté du pont, puis remonter dans la barque afin de poursuivre notre chemin.
Je me suis longtemps demandé pourquoi l’embarcadère n’avait pas été installé de l’autre côté du pont pour échapper à ce transbordement. Mais, le cœur vietnamien a des raisons que la raison occidentale ne connaît point, comme aurait dit l’ami Blaise... Rapidement, ce petit inconvénient est tombé dans l’oubliette des choses sans importance, tellement le paysage qui s’offrait à nous était fabuleux.
Deux tapis de rizières verdoyantes qui se déroulaient de chaque côté de notre barque avec, en toile de fond, des pitons couronnés de végétation luxuriante, sentinelles minérales qui nous montraient le chemin. À peine étions-nous étonnés par le premier que déjà le second se dévoilait, tout juste le temps d’être admiré, avant que le troisième ne vienne nous faire oublier les deux premiers. Et, divine surprise, nous découvrions au détour d’un méandre une succession de grottes qui nous semblaient être la porte des entrailles de la terre.
Têtes penchées pour éviter les stalactites, voix ricochant sur les parois de dentelles, clapotis des rames qui dirigent doucement l’embarcation… Nous étions ailleurs, dans un monde souterrain qui nous avait avalés. Puis, retour à la lumière, aux nuances de blancs et de gris du calcaire jouant avec les verts changeants des rizières. Et tout cela, en sachant que deux ans auparavant, le film Indochine, qui avait fait rêver tant de Français, avait été tourné en partie sur ces mêmes lieux. On s’y croyait!
À votre bon cœur
L’étonnement n’était pas qu’à l’extérieur. Ce qui se passait dans la barque avait aussi de quoi nous étonner… J’ai découvert ce jour-là que pour le Vietnamien, être ambidextre ne se résumait pas aux mains, en admirant l’habileté avec laquelle notre pilote pouvait ramer avec les pieds. J’ai depuis vu bien des embarcations en mer ou sur fleuve menées de… pied de maître, de ce pédalage soutenu et régulier qui donne l’impression que le rameur pourrait faire sa sieste tout en continuant à faire avancer sa barque, mais qui, de façon plus prosaïque, permet au rameur de tenir le gouvernail pour se diriger: aux pieds la propulsion, aux bras la direction. Mais avouez que la première fois, cela a de quoi surprendre l’Occidental plus habitué à baisser le tronc sur le banc de nage qu’à lever la jambe!
Beau paysage de Tam Côc. |
Depuis, le mode de propulsion a changé: il y a deux pilotes, l’une rame comme toute une chacune, l’autre, debout, pousse sur une longue perche de bambou, à l’instar des gondoliers vénitiens. Mais le charme reste identique. Le grand moment de bravoure a été quand notre rameuse (car c’était une vigoureuse matrone qui nous pilotait) a entrepris de nous proposer d’acheter des nappes brodées. Cela a commencé par un émouvant récit de sa vie que l’on aurait cru tiré des Misérables.
Nous nous serions presque sentis coupables de profiter d’un si magnifique paysage. Sentant que nos cœurs étaient juste assez apitoyés pour que l’émotion paralyse nos capacités cognitives, l’astucieuse personne a déballé des sacs plastiques qui masquaient de nombreuses nappes brodées. En un instant, la barque était transformée en étal flottant. L’insistance de la marchande improvisée à nous vendre ses nappes était proportionnelle à la hauteur du prix desdites nappes, fruit d’un dur labeur à la lueur des chandelles pendant les longues soirées d’hiver.
Nous aurions pu sourire de l’énormité de la ficelle, si nous ne nous étions pas sentis un peu "obligés" de nous soumettre aux conditions du marché pour, d’une part, pouvoir retourner au port et, d’autre part, ne plus avoir à subir plaintes et jérémiades. Mais, avec le temps, de cette petite mésaventure n’est resté que le souvenir amusé d’une astucieuse méthode de vente forcée.
Depuis, j’ai découvert dans cette région d’autres rivières, d’autres grottes, au milieu de ces montagnes qui donnent aux paysages des airs d’estampes dessinées à l’encre de Chine. C’est toujours aussi magique!
Gérard Bonnafont/CVN